Le décrochage économique des espaces périmétropolitains du Bassin parisien
29 juillet 2021
Cette fiche présente une comparaison de l’évolution économique des espaces périmétropolitains des mégarégions d’Europe du Nord-Ouest identifiées dans le projet Polynet1 (Hall, Pain 2006). L’objectif est de voir si les régions périmétropolitaines, c’est-à-dire des « régions entourant une aire métropolitaine susceptible d’en déterminer les dynamiques du fait de la proximité » (Mirloup 2004), ont connu une évolution similaire sous l’effet de la globalisation ou bien si des dynamiques différenciées émergent2. Les espaces périmétropolitains sont isolés3 afin de rendre visible la comparaison entre ces entités bien spécifiques. La comparaison porte sur l’indicateur du PIB par habitant (en prix courants, sans parité de pouvoir d’achat), en raison de sa présence dans les documents d’archives d’Eurostat (Commission des communautés européennes 1993a ; 1993b ; 1996), et qui permet de renseigner la production de richesse. Le possible biais consistant à comparer des pays connaissant des cycles économiques différents est pallié par le choix d’une longue période (1989-2016). Le découpage des régions centrales et périmétropolitaines des mégarégions a été réalisé le plus souvent par groupement des entités NUTS 3 (pour des raisons de production de données, dépendantes des entités administratives), en se rapprochant au maximum du découpage réalisé dans le projet Polynet, groupant dans certains cas les NUTS 5. Au sein de ces mégarégions, le Bassin parisien est caractérisé par une zone (entre la grande couronne et les grandes agglomérations de la mégarégion) regroupant une population peu dense entre l’aire urbaine fonctionnelle (FUR) centrale et les autres FUR, situées à plus de 100 km, contrairement aux autres mégarégions où elles sont contiguës, ce qui explique sa superficie importante et sa densité, largement inférieure.
Figure 1 : Évolution comparée du PIB/hab (prix courants) des régions périmétropolitaines d’Europe du Nord-Ouest (1989-2016)
Un Bassin parisien moins productif
La figure 1 montre une évolution différenciée des territoires périmétropolitains, au désavantage du Bassin parisien. Alors que dans les mégarégions du Nord de la Suisse, du Centre de la Belgique, de la Rhin Main, de la Rhin Ruhr, de la Randstad ou du Sud-Est de l’Angleterre, l’évolution du PIB/hab. est relativement importante malgré l’existence de trajectoires différentes selon les territoires, la quasi-totalité des départements (NUTS 3) du Bassin parisien hors Île-de-France ont connu une évolution parmi les plus faibles. L’évolution différenciée au sein de la mégarégion parisienne entre les départements franciliens et les autres semble indiquer que le processus de métropolisation des trente dernières années n’a bénéficié qu’aux territoires centraux, contrairement aux autres mégarégions au sein desquels les territoires périmétropolitains plus éloignés se sont également enrichis.
Figure 2 : Le déclassement des départements du Bassin parisien (hors Île-de-France) entre 1989 et 2016 (sur 184 NUTS 3 dans les 7 mégarégions)
Ce constat est renforcé à la lecture de la figure 2, qui montre d’une part que ce déclassement n’est pas dû à une situation exceptionnelle en 1989 (les départements français étaient dans la moyenne), et d’autre part que la totalité des départements périmétropolitains hors Île-de-France ont chuté dans le classement. Par exemple, la Seine-Maritime est passée de la 57e à la 113e place, et l’Aisne de la 103e à la 178e place. À l’échelle de la France, la carte 2 (qui reprend la discrétisation de la carte 1 en vue d’une comparaison) montre que l’évolution du PIB/hab. des espaces périmétropolitains de la mégarégion parisienne (taux d’évolution proche des 100 % entre 1989 et 2016) est légèrement inférieure à la moyenne nationale (107 %). Leur situation est proche des anciens territoires industriels de l’Est de la France ainsi que des départements ruraux de la « diagonale du vide ». En revanche, l’Ouest de la France ainsi que le couloir rhodanien ont connu une évolution plus positive.
Figure 3 : Évolution comparée du PIB/hab (prix courants) des départements français (1989-2016)
Le creusement des écarts productifs avec les territoires centraux des mégarégions
Dans le début des années 2000, un certain nombre de schémas d’aménagement (le SDEC notamment, Commission européenne 1999) et de travaux scientifiques (le projet Polynet par exemple) postulaient que le double effet de métropolisation et de mondialisation entrainait le passage à un espace en réseau (space of flows de Manuel Castells) qui allait rendre le développement des mégarégions plus polycentrique (Hall, Pain 2006). La figure 3 indique au contraire que les inégalités de production de richesses entre les espaces centraux et périmétropolitains des mégarégions ont augmenté entre 1989 et 2018, sauf pour la région du Rhin Main (Francfort), confortant la thèse de Laurent Davezies (2012) concernant la déconnexion entre espaces productifs et espaces résidentiels. Prises dans leur ensemble, on observe également sur la figure 3 que les territoires périmétropolitains du Bassin parisien ont connu l’évolution la plus faible (légèrement au-dessus des 100 %) par rapport à la Belgique (168 %) ou bien la Suisse (185 %). Si l’on enlève les départements de l’Île-de-France, ce taux tombe même à 82 %, soit la moitié de la moyenne européenne. Dans la mégarégion parisienne, le polycentrisme semble s’opérer au sein de l’Île-de-France, avec un report de la croissance économique et démographique dans les villes nouvelles de la grande couronne (voir Gouin, « La faiblesse des fonctions métropolitaines dans les grandes villes périphériques du Bassin parisien » et Thiard, « La mégarégion parisienne : des dynamiques démographiques et économiques contrastées »), ce qui correspond à la vision de l’aménagement du territoire défendue dans les schémas directeurs de 1965 et 1976 (voir Gouin, « La division de l’aménagement dans la méga-région entrainée par le schéma directeur (1965) »).
Figure 4 : Augmentation du PIB/hab dans les 7 mégarégions nord-Européennes (1989-2016)
Enfin, si l’on s’intéresse aux écarts entre les espaces centraux et les espaces périmétropolitains des mégarégions en termes de PIB/hab. (en 2016), on remarque que celui de la mégarégion parisienne est le plus conséquent. Seule la Rhin Main révèle des écarts aussi importants, avec une situation particulière puisque Francfort bénéficie de la concentration d’activités financières sur une superficie beaucoup plus réduite que celle de la petite couronne parisienne (248 km² contre 700 km², Hall, Pain, 2006). Dans la mégarégion parisienne, la production de richesse de l’espace central est ainsi 2,45 fois plus élevée que celle des espaces périmétropolitains (30 017 € contre 73 508 € par hab.), qui sont les plus pauvres du Nord-Ouest de l’Europe (38 191 € par hab. en moyenne). À titre de comparaison, les régions périmétropolitaines ont un PIB par hab. similaire à celui de l’Irlande du Nord (29 431 € par hab. en 2016), inférieur à celui de l’Écosse (34 230 €, sauf le sud de l’Écosse : 27 180 €) et de l’Est du Pays de Gales (32 809 €, tandis que l’Ouest est à 24 695 €) (sources : ons.gov.uk).
Figure 5 : Écarts de PIB/hab entre les espaces centraux et les espaces périmétropolitains des 7 mégarégions nord-européennes en 2016
Pour conclure, cette approche comparative menée sur les espaces périmétropolitains permet de montrer que la situation économique difficile des régions périmétropolitaines du Bassin parisien n’est pas simplement le résultat d’une situation géographique, puisque d’autres régions dans des configurations similaires obtiennent des résultats beaucoup plus élevés. Cela invite à considérer l’historicité de ces régions et des choix d’aménagement qui y ont été effectués, parmi lesquels l’implantation d’industries et de services qualifiés.
1 Le découpage est basé sur la contiguïté et les relations fonctionnelles entre les aires urbaines fonctionnelles.
2 Le Group for Metropolitan Ares Comparative Analysis (GEMACA I et II) a également établi des comparaisons de ce type, sur des espaces moins étendus, à la fin des années 1990, (voir notamment GEMACA 2002).
3 Correspondant aux « rings » identifiés dans Polynet, par opposition aux « cores ». Cela correspond aux territoires où minimum 10 % des actifs vont travailler quotidiennement dans le « core ».
Bibliographie
CASTELLS, Manuel, 1999. L’Ère de l’information. Paris, France : Fayard. ISBN 978-2-213-60041-3.
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES, 1993a. Portrait des régions, Tome 1 : Allemagne, Bénélux, Danemark. Luxembourg : Office des publications officielles des communautés européennes. ISBN 978-92-826-3225-3.
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES, 1993b. Portrait des régions, Tome 2 : France, Royaume-Uni, Irlande. Luxembourg : Office des publications officielles des communautés européennes. ISBN 978-92-826-3226-1.
COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES, 1996. Portrait des régions, Tome 4 : Autriche, Finlande, Suède, Islande, Liechtenstein, Norvège, Suisse. Luxembourg : Office des publications officielles des communautés européennes. ISBN 978-92-827-0059-4.
COMMISSION EUROPÉENNE, 1999. Schéma de développement de l’espace communautaire. Vers un développement spatial équilibré et durable du territoire de l’Union européenne [en ligne]. Luxembourg : Office des publications officielles des communautés européennes. Disponible à l’adresse : http://ec.europa.eu/regional_policy/sources/docoffic/official/reports/som_fr.htm.
DAVEZIES, Laurent, 2012. La crise qui vient: la nouvelle fracture territoriale. Paris, France : Seuil. ISBN 978-2-02-108645-4.
GEMACA, 2002. Performances économiques des régions européennes. In : Les cahiers de l’IAURIF. 2002. n° 135.
HALL, Peter Geoffrey et PAIN, Kathy, 2006. The polycentric metropolis: learning from mega-city regions in Europe. London : Routledge. ISBN 1-136-54763-0.