La division de l’aménagement dans la méga-région entrainée par le schéma directeur (1965)
12 avril 2021
Figure 1 : Plan directeur d’organisation générale de la région parisienne (1960), pp. 38-39.
L’exclusion du Bassin parisien entrainée par le SDAURP (1965)
Aux cours des débuts de l’aménagement du territoire (années 1950 – début des années 1960), l’aménagement de Paris n’est pas encore circonscrit à une échelle particulière. En effet, malgré le découpage de 1956 qui délimitait une petite région parisienne, le PADOG (Plan directeur d’organisation général de la région parisienne, 1960, figure 1) et la politique des métropoles d’équilibre (1963) concevaient tout deux l’aménagement de Paris à l’échelle de son aire fonctionnelle. Leur objectif était de lutter contre la centralisation de la capitale en accueillant la croissance démographique dans des pôles (dans le Bassin parisien) et des métropoles d’équilibre. En 1965, l’adoption du schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la région parisienne (SDAURP) constitue une rupture, puisqu’il entérine l’idée d’un aménagement de la capitale à l’échelle de la région parisienne, et renoue avec des politiques de croissance démographique de la capitale. Cela a eu pour effet d’entrainer l’exclusion des régions périphériques du Bassin parisien des politiques d’aménagement des années 1960 reposant sur la polarisation (figure 21). Pour autant, le SDAURP ne rompait pas avec l’idée d’un aménagement polycentrique de la capitale, mais choisissait de le circonscrire aux limites de la région parisienne avec la création des villes-nouvelles (Vadelorge, 2016).
Figure 2 : La mise à l’écart du Bassin parisien dans la politique des métropoles d’équilibre et dans le SDAURP. Délimitations des zones d’influence des métropoles d’équilibre d'après Hautreux et Rochefort, 1963.
Pourquoi une division de la méga-région dans le SDAURP ?
Initialement, Paul Delouvrier, nommé par Charles de Gaulle pour élaborer ce schéma au sein de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région parisienne (IAURP), avait l’idée d’aménager Paris à l’échelle du Bassin parisien (Delouvrier, 1994 ; 2003) mais il l’abandonna pour plusieurs raisons. Premièrement, ses compétences étaient limitées à la seule région parisienne en raison du découpage des régions de programme de 1956-1958, le conduisant dans une logique de path dependency à appliquer le SDAURP à ce territoire, afin de d’éviter des négociations ardues avec les décideurs des régions voisines évidemment peu favorables à une reprise de la croissance parisienne. Deuxièmement, Paul Delouvrier et ses collaborateurs ont pris l’exemple des villes-nouvelles du Grand Londres (Plan Abercrombie, 1944) comme un contre-modèle, jugeant le choix d’élaborer une green belt autour de Londres peu judicieux et préférant localiser les villes-nouvelles à 50 kilomètres maximum de Paris (Hall, 1967).
Le Bassin parisien : un espace de compensation instrumentalisé
Cette reprise de la concentration parisienne fut combattue par la DATAR, car elle s’opposait aux politiques d’aménagement en vigueur. Or, même s’il avait le soutien de Charles de Gaulle, Paul Delouvrier avait besoin de l’aval de la DATAR pour que le SDAURP soit adopté (Delouvrier, 2003, p. 58). Il était également nécessaire de calmer les élus de Province qui effectuaient des aller-retours dans les ministères (Lacaze, 2008). Pour cela, il effectua un compromis en reconnaissant l’existence du Bassin parisien et en y prévoyant des aménagements complémentaires à ceux du SDAURP (Thiard, 2001 ; 2006), qui devaient être effectués notamment dans quatre « zones d’appui » : la Basse-Seine, l’Oise-et-Aisne, la Loire moyenne et le Nord Champenois, avec pour chacune une spécialisation fonctionnelle s’intégrant à la métropole parisienne. Par conséquent, la création du Bassin parisien comme espace d’aménagement s’interprète comme une instrumentalisation destinée à faire accepter le SDAURP (Thiard, 2006). En effet, dans les années qui suivirent sa publication, le Bassin parisien fut globalement ignoré par l’IAURP, comme en témoigne une analyse menée sur la revue Les cahiers de l’IAURP (figure 3).
Figure 3 : La sous-représentation du Bassin parisien dans les articles de la revue Les cahiers de l’IAU (1964-1984).
Conséquence : un Bassin parisien sans tête
Ainsi, le Bassin parisien désignait initialement les régions périphériques de l’Île-de-France, comme dans le Livre Blanc du Bassin parisien de 1967 édité par la DATAR. Si la région parisienne fut finalement y fut finalement intégrée à partir de 1970 dans les directives d’aménagement pour le Bassin parisien, cette dissociation historique se répercute, dans une logique de path dependency, sur les prises de décision contemporaines. À ce titre, la carte des zones d’étude d’aménagement du territoire (ZEAT), reprise pour la nomenclature NUTS 1 de l’Union Européenne jusqu’en 2016, est symbolique de cet héritage (figure 4).
Figure 4 : Carte des ZEAT et des territoires NUTS1 (jusqu'en 2016).
1 Les zones d’influence des métropoles avaient été établies dans ce rapport sur la base des communications téléphoniques (Hautreux, Rochefort, 1964).
Bibliographie
DELOUVRIER, Paul, 1994. Paul Delouvrier, ou, La passion d’agir: entretiens. Paris : Seuil.
DELOUVRIER, Paul, 2003. L’aménagement de la région parisienne (1961-1969): le témoignage de Paul Delouvrier accompagné par un entretien avec Michel Debré. Paris, France : Presses de l’école nationale des Ponts et chaussées, DL 2003.
HALL, Peter, 1967. Planning for urban growth: Metropolitan area plans and their implications for South-East England. In : Regional Studies. 1967. Vol. 1, n° 2, p. 101–134.
HAUTREUX, Jean et ROCHEFORT, Michel, 1964. La Fonction régionale dans l’armature urbaine française.
LACAZE, Jean-Paul, 2008. La Basse-Seine et Le Vaudreuil. In : Aménagement du territoire : Changement de temps, changement d’espace. Caen : Presses universitaires de Caen. Colloques de Cerisy. p. 307‑316.
THIARD, Philippe, 2001. Les dynamiques du Bassin parisien (1975-1990): un système spatial entre mutations du système productif et impact des politiques publiques. Thèse de doctorat. Paris, France : Université Panthéon-Sorbonne.
THIARD, Philippe, 2006. Le Bassin Parisien, un espace fonctionnel reconnu mais instrumentalisé par les politiques d’aménagement du territoire. In : Territoires institutionnels, territoires fonctionnels [en ligne]. Institut de Recherche du Val de Saône-Mâconnais.
VADELORGE, Loïc, 2016. Les projets de Delouvrier : changement d’échelle ou restructuration de la région parisienne ? In : BOURILLON, Florence et FOURCAUT, Annie (éd.), Agrandir Paris (1860-1970). Paris : Éditions de la Sorbonne. Histoire contemporaine. p. 357‑371.