Les éco-quartiers labellisés du Bassin parisien
12 octobre 2021
Pour le grand public, l’image des éco-quartiers est celle des opérations urbaines labellisées de grande ampleur, emblématiques du renouveau d’une ville comme celles de Clichy Batignolles (à Paris) ou de la Zac de Bonne (à Grenoble). Pourtant, le label ÉcoQuartier, proposé par le ministère de la Cohésion des Territoires et des Relations avec les Collectivités Territoriales (MCTRCT), vise à certifier des opérations dans tous types de contexte, notamment périurbain ou rural. Celles-ci sont d’une grande diversité, allant du quartier parisien en centre urbain dense à des opérations d’urbanisme endogène1 de quelques logements seulement, en passant par des lotissements de plusieurs centaines de logements construits en extension urbaine maîtrisée.
Cette diversité de la nature des éco-quartiers est visible dans la mégarégion et interroge : comment fabrique-t-on la ville durable selon les contextes urbains dans la mégarégion parisienne ? Comment les territoires de plus faible densité de la mégarégion sont-ils porteurs d'alternative et d'exemplarité ? Après une présentation du label et de la diversité des opérations labellisées, nous analyserons deux éco-quartiers contrastés, tant par leur contexte que par l'ampleur de leur réalisation : Clichy Batignolles, et Bouray-sur-Juine.
Diversité des opérations labellisées
La démarche ÉcoQuartier portée par MCTRCT comporte 4 étapes, qui correspondent aux différents stades du projet : l’engagement (étape 1), la mise en chantier (étape 2), la livraison du projet (étape 3) et la vie de quartier (étape 4). Le référentiel se base sur une grille de 20 engagements répertoriés dans 4 grandes thématiques que sont « démarche et processus », « cadre de vie et usages », « développement territorial » et « environnement et climat ». Les 20 engagements permettent de répondre à 47 “questions évaluatives” dans le domaine du développement durable. Dans le cadre de notre analyse portant sur le Bassin parisien2, nous avons retenu 74 éco-quartiers labellisés ÉcoQuartier entre 2012 et 2020, dont les résultats d’évaluation sont accessibles sur la plateforme ÉcoQuartier en ligne du Ministère3.
Carte 1 : Étapes de labellisation atteintes par les éco-quartiers du grand bassin parisien
Géographie et temporalité des éco-quartiers
En premier lieu, nous avons pu constater que la majorité des éco-quartiers labellisés4 (75 %) se situent dans les unités urbaines, surtout hors des villes-centres (voir figure 1 et carte 1), qui n'accueillent que 12,5 % de ces éco-quartiers. Le périurbain accueille 17 % des éco-quartiers, auxquels s'ajoutent les 5,7 % des communes multipolarisées, tandis que le rural n'en accueille qu'une part très minoritaire (2,3 %). Ces quartiers durables se localisent principalement dans les communes de l'aire urbaine de Paris, plus particulièrement en Seine-et-Marne, Hauts-de-Seine et Seine-Saint-Denis, ou encore dans les secteurs où la présence d'une ingénierie est renforcée. Ainsi, dans le périurbain francilien, beaucoup d’éco-quartiers se situent dans des communes appartenant à un parc naturel régional (Fonticelli et Doussard, 2021).
Figure 1 : Des éco-quartiers présents dans une diversité de contextes
Globalement, les éco-quartiers périurbains et ruraux ont été labellisés plus tardivement que les opérations urbaines rÉconnues par le Ministère. En effet, l’évolution du nombre total d’opérations labellisées connaît une forte hausse en 2014 sous l’effet des opérations urbaines, avant d’atteindre un plateau de 2015 à 2018 avec davantage d’opérations construites dans des communes périurbaines. Dans le périurbain, les initiatives de labellisation en éco-quartiers sont donc plus récentes. Ainsi, elles ne sont pas toutes achevées et donc ne peuvent être comptabilisées à ce jour en étape 4 (phase de vie). Le nombre limité d'éco-quartiers périurbains et ruraux dans les étapes 2, 3 et 4 du label (voir Figure 2 et carte 1) s'explique donc par une labellisation plus tardive des éco-quartiers périurbains, et par le besoin d’un temps plus long dans ces communes rurales et périurbaines pour se saisir de ce label.
Figure 2 : Étape de labellisation atteinte selon la nature des communes
Diversité des éco-quartiers au sein du Bassin parisien
Ce label est attribué à des quartiers de taille et de nature différentes. En premier lieu, alors que le nombre moyen de logements par opération est de 1 375 au sein des unités urbaines, ce nombre atteint seulement 139 logements par opération au sein du périurbain, et 15 dans les communes rurales. Si l’on s’intéresse aux superficies des opérations, celles-ci atteignent en moyenne près de 31 ha au sein des unités urbaines contre 8 ha en périurbain, et 1 ha dans les communes rurales. La grande majorité des projets, que ce soit au sein des unités urbaines ou au-delà, demeurent de petite ou moyenne envergure.
Figure 3 : Des opérations de tailles inégales
On remarque également que plus d’un tiers des éco-quartiers du Bassin parisien sont des projets d’extension maîtrisée (donc en étalement urbain), et que deux tiers d’entre eux s’opèrent dans un contexte de renouvellement urbain (en densification urbaine). Des différences existent cependant entre les territoires. Sans surprise, au sein des unités urbaines, la proportion de projets de renouvellement urbain (principalement à partir de quartiers existants ou sur des friches) est plus importante qu’en périurbain où les projets d’extension urbaines sont plus fréquents. Les éco-quartiers périurbains labellisés sont divers. La durabilité de certains interroge : le label pouvant être attribué aussi bien à de petites opérations de densification qu’à des grandes opérations construites en extension urbaine sur des terres agricoles.
Dynamiques de développement en fonction des territoires : les exemples de Clichy Batignolles et de Bouray-sur-Juine
Nous nous sommes intéressées à deux projets qui nous semblent représentatifs de la diversité des éco-quartiers du Bassin parisien. Le premier est l’éco-quartier de Clichy Batignolles à Paris (au cœur de l'unité urbaine parisienne), et l’autre, le projet du presbytère à Bouray-sur-Juine (Essonne, au sein du périurbain parisien) (voir figure 4).
Figure 4 : Photographies aériennes et localisation de deux projets d'éco-quartier
Un quartier durable au cœur de la métropole : Clichy-Batignolles
L’éco-quartier de Clichy-Batignolles (52 ha) a obtenu le label étape 4 en 2020. Il accueille près de 7 500 habitants, répartis dans 3 400 logements, dont 50 % sont des logements sociaux. Il contient également plus de 170 000 m² de bureaux et de commerces, plusieurs groupes scolaires et le palais de Justice de Paris. Le parc Martin Luther King constitue un espace de verdure de 10 ha en cœur de quartier (voir figure 4). L’opération mobilise également des infrastructures lourdes en lien avec l’ingénierie écologique, notamment au travers des énergies renouvelables (géothermie, et énergie solaire), et des systèmes de collectes des eaux de pluies et des déchets (collecte pneumatique) à l’échelle de l’opération.
Cette ingénierie écologique a été portée par de nombreux acteurs publics et privés agissant dans un souci d’exemplarité. Son insertion dans le milieu urbain, avec une superficie de projet et une densité de logement plus importantes, et de l’accès facilité aux transports en commun (Doussard, 2017), a facilité l’obtention de la labellisation.
Un quartier exemplaire en contexte périurbain : Bouray-sur-Juine
À Bouray-sur-Juine (2 200 habitants environ), le projet consiste en la réhabilitation et la construction de sept logements communaux et de petits équipements dans un ancien presbytère (voir figure 4). En plus des sept logements prévus, le projet inclut également des espaces de convivialité pour la communauté religieuse et pour les habitants, ainsi que 28 m² voués à des services partagés, tels qu’une laverie, un espace de stockage, un atelier de bricolage, et un local à vélo. S’y ajoutera la création d’un espace public. Les performances thermiques visées sont remarquables, d’autant que les matériaux de construction qui seront utilisés sont pour beaucoup bio-sourcés, et issus pour partie de la filière chanvre portée par le PNR du Gâtinais. Le presbytère fait partie des éco-quartiers ruraux et est actuellement labellisé en étape 25.
Si des projets de qualité comme celui de Bouray-sur-Juine existent en périurbain, ils font plus figure d’exception que de la norme. Les initiatives au sein du périurbain se confrontent à de nombreuses difficultés dès qu’il s’agit de construire de manière alternative à la maison individuelle. Les raisons y sont connues : prix des constructions plus élevés pour faire du collectif que de l’individuel (Castel, 2010), manque d’une ingénierie dans certaines communes périurbaines (Moquay, Fonticelli, 2021), difficulté à convoquer des promoteurs ou des bailleurs sociaux sur ces espaces (Fonticelli, 2018), délicate acceptation par les habitants… Ces projets ont besoin d’un temps long pour se réaliser, et les freins qu’ils rencontrent sont nombreuses. Aux difficultés particulières à construire autrement dans ces territoires s’ajoute celle à répondre à un label ministériel, davantage imaginé pour l’espace urbain dense que pour des contextes périurbains ou ruraux : les dossiers sont chronophages pour des communes aux équipes municipales réduites. Le label est, de plus, peu adapté au contexte périurbain, et rend difficile la labellisation de petites opérations. En 2019, il existait un référentiel “ÉcoQuartier rural”6 qui amendait à la marge les objectifs à atteindre par rapport au référentiel classique : seulement 20 % des critères permettaient d’adapter le référentiel au contexte rural (Fonticelli, Doussard, 2021).
Conclusion
Ce label nous interpelle car, dans sa volonté de répondre à tous les contextes, il témoigne à notre sens d’une méconnaissance des spécificités des territoires, notamment périurbains et ruraux. Il ne tient pas compte de leurs difficultés inhérentes pour réaliser des opérations d’aménagement de qualité. Ainsi, en contexte périurbain, des opérations d’extensions urbaines d’ampleur sont plus facilement labellisables que de petites opérations de densification s’apparentant à un urbanisme endogène. Enfin, ce travail révèle qu’à l’échelle du Bassin parisien, les initiatives pour réaliser des éco-quartiers sont nombreuses, multiples, variées, et ne sont pas l’apanage de la métropole parisienne. Les territoires de plus faible densité sont donc également porteurs d’alternatives et d’exemplarité.
1 Claire Aragau (2018) définit l'urbanisme endogène comme un urbanisme se référant « à des pratiques de densification en menant des opérations en dents creuses ou en procédant à des opérations de réhabilitation, avec l'idée d'un urbanisme par retouches adaptées au tissu urbain existant ».
2 Les données de la base du ministère sont fréquemment modifiées et amandées. Nos recherches ont été réalisées entre décembre 2020 et janvier 2021.
3 Nous avons exclu de cette analyse les éco-quartiers ayant demandé l’étape 1, mais ne l’ayant pas encore obtenue.
4 Aire urbaine, unité urbaine, sont entendus au sens de l’INSEE, 2010. Par périurbain, nous entendons les communes situées dans l’aire urbaine mais non comprises dans les unités urbaines, auxquelles s’ajoutent les communes multipolarisées.
5 En juin 2021.
6 Il existait également un référentiel ANRU.
Bibliographie
Aragau Claire, 2018, « Le périurbain : un concept à l’épreuve des pratiques », Géoconfluences, avril 2018.
Castel Jean-Charles et Jardinier L, 2011, « La densité au pluriel, un apport à la recherche sur les coûts de l’urbanisation », Études Foncières, 2011, no 152, p. 12‑17.
Doussard Claire, 2017, Evaluer les éco-quartiers : analyses comparatives internationales, thesis, Paris 1, s.l.
Fonticelli Claire, 2018, Construire des immeubles au royaume des maisons La densification des bourgs périurbains franciliens par le logement collectif : modalités, intérêts et limites,IAVFF, s.l., 524 p.
Fonticelli Claire et Doussard Claire, 2021, « Éco-quartier périurbain, appropriation périurbaine d’un modèle urbain ? Le cas des éco-quartiers ruraux du PNR du Gâtinais français » dans Mutations du périurbain, Paris, (coll. « Devenirs urbains »).
Moquay Patrick et Fonticelli Claire, 2021, « Revenir sur le déficit d’ingénierie périurbaine » dans Mutations du périurbain, Paris, (coll. « Devenirs urbains »).