Recherches archéologiques préventives, patrimoine et aménagement du territoire dans la mégarégion de Paris
28 octobre 2021
Présentation de l’archéologie préventive
La loi du 17 janvier 2001, relative à l’archéologie préventive, instaure le fait que « l'État veille à la conciliation des exigences respectives de la recherche scientifique, de la conservation du patrimoine et du développement économique et social ». Depuis 2002, l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (Inrap) et les services de collectivité agréés réalisent des opérations de diagnostic archéologique sur tout le territoire national, en vue de vérifier si des traces d’anciennes occupations humaines sont susceptibles d’être détruites par de futurs aménagements. Ces opérations de diagnostics sont prescrites par les Services Régionaux de l’Archéologie, services décentralisés du Ministère de la Culture, au sein des Directions régionales des Affaires Culturelles.
Les zones terrassées, chaque année, sur notre territoire sont estimées au nombre de 500 000, soit une surface d’environ 48 000 ha (Vanmoerkerke 2020). D’après les données de la Sous-direction de l’archéologie exploitées dans un rapport sénatorial (Bordier, Dauge 2011), ce sont entre 23 000 et 37 000 dossiers d’aménagements qui ont été instruits entre 2002 et 2010 en France et 1 900 à 3 000 diagnostics prescrits par année sur la période, soit un taux de prescription annuel de 7 % en moyenne. Entre 2002 et 2020, ce sont près de 30 800 diagnostics archéologiques qui ont été réalisés sur le territoire français par l’Inrap, représentant une surface d’environ 7 800 ha chaque année (141 000 ha sur la période), soit l’équivalent de la surface du département de l’Essonne, révélant en filigrane la dynamique de l’aménagement du territoire de la mégarégion parisienne.
Le diagnostic archéologique consiste à décaper mécaniquement et/ou manuellement environ 10 % de la surface de la parcelle concernée par l’aménagement afin d’identifier les occupations humaines antérieures en étudiant les vestiges mobiliers - artefacts ou écofacts - et immobiliers qui constituent les seules traces permettant de restituer l’histoire d’un lieu.
Cet échantillonnage constitue la première étape d’une sauvegarde par l’étude du patrimoine archéologique enfoui et parfois la seule. En effet, si les résultats du diagnostic archéologique n’indiquent pas un potentiel important permettant de venir enrichir les connaissances sur les populations passées qui ont occupé le territoire, alors l’aménagement pourra se faire dès l’issue de cette première étape. En revanche, si le terrain étudié permet d’apporter des éléments de compréhension nouveaux à l’un des quinze axes de recherche définis par le Conseil National de la Recherche Archéologique, regroupés par période chronologique et par thématique (https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Archeologie/Etude-recherche/La-programmation-nationale-de-la-recherche-archeologique), une prescription de fouille pourra être émise sur toute ou partie de la parcelle diagnostiquée. Cette nouvelle, plus approfondie, est accompagnée d’un cahier des charges scientifiques et techniques, établie par l’agent prescripteur de la DRAC, définissant la problématique à laquelle la fouille devra répondre et les méthodes pour y parvenir. Entre 2002 et 2010, ce sont entre 12 % et 26 % des parcelles diagnostiquées qui ont fait l’objet d’une prescription de fouille dont le financement est à la charge de l’aménageur, sur le principe du casseur-payeur. Finalement, le rapport sénatorial, déjà cité précédemment, indique que seulement 2 % des dossiers d’aménagement instruits font l’objet d’une fouille archéologique.
L’archéologie préventive au sein de la mégarégion parisienne
33 % des diagnostics archéologiques (environ 10 200 opérations) réalisés par l’Inrap sur le territoire national, au cours des vingt dernières années, l’ont été au sein de la mégarégion parisienne , telle que définie par la Mission Interministérielle et Interrégionale d’Aménagement du Territoire (MIIAT) regroupant les régions de Normandie, d’Ile-de-France, du Centre-Val de Loire, de Champagne-Ardenne, de Picardie auxquelles ont été ajoutés les départements de l’Yonne et de la Sarthe, soit l’équivalent de 56 300 ha diagnostiqués et donc potentiellement aménagés, pour une aire totale de 14 000 000 ha.
Au cœur de cet ensemble, l’Ile-de-France constitue un espace fortement investi du point de vue de l’archéologie préventive, tant par le nombre de diagnostics effectués (N=2160) que par les surfaces sondées avec un total de 11 800 ha soit 21 % des surfaces diagnostiquées dans la mégarégion parisienne. Cette densité importante est bien visible sur la figure 1 avec des concentrations en Seine-et-Marne (77) et dans l’Essonne (91).
Figure 1 : Densité des surfaces diagnostiquées par l’Inrap par commune entre 2002 et 2020 au sein de la mégarégion parisienne
En effet, les secteurs les plus dynamiques se trouvent (figure 2) :
- autour de Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis, 93), du fait de l’extension importante de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle,
- entre Bussy-Saint-Georges et Magny-Le-Hongre (Seine-et-Marne, 77), à proximité du Parc Disneyland Paris, du fait de son agrandissement et de l’implantation de nombreuses zones commerciales,
- et enfin, près de Moissy-Cramayel et Lieusaint (Seine-et-Marne, 77), avec une forte concentration de zones d’activités commerciales dont le Carré Sénart.
Les autres secteurs densément étudiés par l’archéologie préventive se trouvent aux abords des grandes agglomérations, plus précisément sur les territoires de leurs communes limitrophes, autour de Caen, Le Havre, Rouen, Amiens, Reims, Troyes, Orléans, Tours, Le Mans, Chartres, etc. Ce phénomène de métropolisation concerne de futures zones d’activités économiques et surtout des zones d’habitats. Les lotissements constituent le dernier grand type d’aménagement susceptible de déclencher une prescription de diagnostic puisque étant responsable d’un fort étalement urbain.
D’autres concentrations de diagnostics sont distribuées linéairement et permettent de localiser les recherches archéologiques menées en amont de la construction d’infrastructures de transport. C’est le cas de l’autoroute A19 reliant Sens à Orléans ; de la Ligne à grande vitesse au sud de Tours, le long de l’autoroute A10 ; ou encore du Canal Seine Nord Europe visibles dans l’Oise et en Picardie pour le cadre géographique de cette étude.
Distribuées de la même manière, mais cette fois ci dans l’axe des cours d’eau, en fond de vallées, d’autres densités de diagnostics archéologiques sont perceptibles, en lien avec l’exploitation des carrières de granulat. Sont visibles les concentrations de carrières dans la vallée de Seine au sud de Rouen, dans la Seine-et-Marne et l’Aube, entre Montereau-Fault-Yonne et Romilly-sur-Seine. Ce type d’aménagement fait l’objet de diagnostics archéologiques systématiques permettant d’investiguer des surfaces de plusieurs dizaines d’hectares.
Figure 2 : Surfaces diagnostiquées par l’Inrap par commune entre 2002 et 2020 au sein de la mégarégion parisienne
À l’échelle des départements, la Seine-et-Marne et la Marne constituent les départements où les nombres d’hectares diagnostiqués sont les plus importants, suivis par le Loiret, l’Indre-et-Loire, la Somme, la Seine Maritime, etc. À l’inverse, les petits départements essentiellement urbains de Paris, les Hauts-de-Seine et du Val-de-Marne comptabilisent entre 45 et une centaine d’hectares diagnostiqués chacun seulement.
Que dit l'archéologie préventive de l’aménagement du territoire ?
Les données de l’archéologie préventive présentées ici révèlent la consommation importante de terres arables dans les espaces marqués par une forte attractivité économique. Des données compilées par ailleurs par l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme (Nolorgues 2010) indiquent que près de 930 ha de terres arables sont aménagées en moyenne chaque année, entre 2002 et 2006, en Île-de-France.
La période 2001-2010 est effectivement très dynamique avec 33 700 ha diagnostiqués et une forte densité d’aménagements du territoire réalisés dans le Loiret, la Seine-et-Marne et la Marne. La période suivante de 2011 à 2020 voit une diminution de 11 100 ha diagnostiqués mais se caractérise par une intensification des opérations de diagnostic qui sont donc réalisées sur de plus petites surfaces. Cette configuration est bien attestée en Normandie notamment avec la Seine-Maritime qui voit le nombre de diagnostics réalisés par l’Inrap passer de 174 à 471 (figure 3) et des surfaces moyennes de 9,3 ha à 3,6 ha (figure 4) entre les deux décennies et pourraient s’expliquer par l’attractivité du littoral qui tend à s’intensifier sur la période et ce, à l’échelle nationale (Bocquet, 2019 p.6).
Figure 3 : Évolution du nombre de diagnostics réalisés par l’Inrap entre les décennies 2001-2010 et 2011-2020 au sein de la mégarégion parisienne
Figure 4 : Évolution des surfaces moyennes diagnostiquées par l’Inrap entre les décennies 2001-2010 et 2011-2020 au sein de la mégarégion parisienne
Cette tendance ne devrait qu’être accentuée pour la prochaine décennie, d’ici 2030, par la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets puisqu’elle fixe l’objectif suivant : « le rythme de l'artificialisation des sols dans les dix années suivant la date de promulgation de la présente loi doit respecter l’objectif de ne pas dépasser la moitié de la consommation d'espace observée sur les dix années précédant cette date. »
Cette consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (NAF) est estimée au niveau national, par l’observatoire national de l’artificialisation, à 276 370 ha pour la période 2009-2019 et devra donc avoisiner les 138 000 ha entre 2020 et 2030 (Bocquet, 2019 p.13). A l’échelle de la mégarégion parisienne, proportionnellement à la réduction des surfaces artificialisées, les surfaces diagnostiquées entre 2020 et 2030 ne devraient donc pas dépasser 11 300 ha en théorie.
Sans changement de paradigme concernant la croissance économique, une des rares pistes de lutte contre l’artificialisation des terres préconisée est une politique accrue de planification de l’aménagement des territoires en élaborant des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) permettant une meilleure efficacité de l’artificialisation (rapport entre le nombre de m² construits et le nombre de m² consommés) grâce à la densification de l’habitat. L’autre levier pour atteindre l’objectif fixé par la loi Climat repose sur le recyclage urbain impliquant parfois une mutation fonctionnelle des espaces disponibles.
Pour la prochaine décennie, l’archéologie préventive, garante de la sauvegarde du patrimoine mais aussi d’un développement durable, restera un préalable indispensable aux aménagements. Ils seront nécessairement plus réduits en surface en zone rurale et forcément plus nombreux en zone urbaine. Dans ces secteurs, ils seront plus complexes d’un point de vue technique de par la nature des terrains abordés (pollution des friches industrielles), et plus complexes d’un point de vue archéologique: les cœurs de villes actuels sont en effet bâtis sur les villes modernes, médiévales et antiques dont l’étude requiert un temps accru et un savoir-faire spécifique. Les problématiques archéologiques s’en trouveront probablement renouvelées, ouvrant sur de nouveaux champs d’études en lien avec le développement urbain des deux derniers millénaires, en complément des vastes études de territoires proposées actuellement (Brun et al., 2006).
Bibliographie
Bocquet M., 2019, L’artificialisation et ses déterminants d’après les fichiers fonciers (période 2009-2017) [en ligne], s.l. : CEREMA, URL : https://artificialisation.biodiversitetousvivants.fr/sites/artificialisation/files/inline-files/rapport%20analyse%20V9_light.pdf [lien valide au 6 avril 2021].
Bordier P., Dauge Y., 2011, Archéologie préventive : Pour une gouvernance au service de la recherche, 760 [en ligne], s.l. : Sénat, URL : http://www.senat.fr/rap/r10-760/r10-760_mono.html [lien valide au 6 avril 2021].
Brun P., Marcigny C., Vanmoerkerke J., 2006, Une archéologie des réseaux locaux. Quelles surfaces étudier pour quelle représentativité ? [en ligne], s.l. : Maison des Sciences de l’Homme, 104-/105, URL : https://hal-inrap.archives-ouvertes.fr/hal-02792805 [lien valide au 26 avril 2021].
Nolorgues L., 2010, « Quelle consommation d’espaces dans les franges franciliennes? », Cah. IAU Ile--Fr., 153, pp. 27‑28.
Vanmoerkerke J., 2020, « La représentativité des données issues des diagnostics : un préalable à leur exploitation scientifique », Séminaires scientifiques et techniques de l’Inrap [en ligne], URL : https://sstinrap.hypotheses.org/6910 [lien valide au 6 avril 2021].