Inventaire, évaluation et cartographie du géopatrimoine dans le Parc Naturel Régional de la Haute Vallée de Chevreuse (Île-de-France)

Université de Paris, UMR CNRS 8586 Prodig
Publié le

3 septembre 2021

Au sein du Bassin parisien, une quinzaine de parcs naturels régionaux (PNR) offrent des zones de respiration aux espaces de forte densité de l’agglomération parisienne et constituent des destinations privilégiées du tourisme vert et des loisirs de nature (IAU-IDF, 2010). Le Parc Naturel Régional de la Haute Vallée de Chevreuse (PNRHVC) s’inscrit dans cet ensemble de PNR situés dans l’aire d’influence parisienne (Fig. 1). Créé en 1985, il est le plus ancien des quatre PNR d’Île-de-France. Avec les autres parcs naturels du Bassin parisien, il participe à la constitution d’une nouvelle « ceinture verte » à fort potentiel éco-géo-touristique qui s’étend bien au-delà des frontières de l’Île-de-France. Cette vocation touristique, inscrite dans la charte du PNRHVC, repose sur des ressources patrimoniales aussi riches que diversifiées qui ont fait sa renommée : sites historiques prestigieux (châteaux, abbayes) et paysages remarquables à forte valeur culturelle, où alternent vastes ensembles forestiers (forêt de Rambouillet), plateaux agricoles aux horizons dégagés (Hurepoix) et vallées escarpées aux pentes boisées (vallée de Chevreuse et vallées affluentes de l’Yvette). Parmi les ressources patrimoniales encore sous-valorisées, le géopatrimoine représente une nouvelle ressource territoriale (Bétard et al., 2017) pouvant contribuer au développement local et à la diversification de l’offre touristique de ces parcs qui cherchent constamment à se réinventer, notamment au moment du renouvellement de leur charte. Par géopatrimoine, on entend l’ensemble des biens géologiques, géomorphologiques, pédologiques et hydrologiques qui sont patrimonialisés ou susceptibles de l’être à travers des actions de reconnaissance collective, de protection, de valorisation et/ou de labellisation (Bétard et al., 2017).

L’objectif de cette étude est d’inventorier, d’évaluer et de cartographier le géopatrimoine sur le territoire du PNRHVC, dans le but de faire émerger les éléments dignes d’être préservés et/ou valorisés dans une perspective de développement durable conforme à la charte du parc. Ce travail vise aussi, et plus largement, à encourager la multiplication de ce type d’étude et d’inventaire géopatrimonial dans les autres PNR du Bassin parisien, riches d’un patrimoine géologique et géomorphologique souvent insoupçonné, et méconnu des habitants et des visiteurs comme des acteurs de ces territoires.

Le territoire d'étude

Le territoire de l’inventaire couvre les 53 communes du Parc Naturel Régional de la Haute Vallée de Chevreuse, soit une superficie de 64 616 hectares pour une population d’environ 115 000 habitants. Géologiquement, le PNRHVC se situe au centre du Bassin de Paris formé d’assises sédimentaires sub-horizontales et peu déformées, d’âge tertiaire à quaternaire. Les formations géologiques les plus anciennes, qui affleurent uniquement au sud du territoire d’étude à la faveur de l’anticlinal de la Rémarde, sont toutefois représentées par la Craie blanche à silex d’âge Crétacé (Afchain et al., 1975). Ce substrat crayeux est surmonté d’un niveau discontinu d’argiles plastiques et de sables grossiers d’âge Yprésien, puis par les marnes supragypseuses et les Argiles vertes de Romainville d’âge Priabonien à Rupélien inférieur. Située au-dessus de ce niveau argileux imperméable, la formation géologique la plus épaisse (50 à 70 mètres) est représentée par les Sables et Grès de Fontainebleau d’âge Rupélien, qui constitue le principal aquifère de la région. Cette épaisse couche sableuse, qui comprend des niveaux indurés vers son sommet sous forme de lentilles gréseuses (Plaziat, 2012), est surmontée par l’Argile à meulières de Montmorency épaisse de 5 à 6 mètres et, localement au sud, par le Calcaire d’Étampes du même âge (Rupélien supérieur). Des placages de Sables de Lozère, attribués au Miocène supérieur, et une mince couverture de limons éoliens d’âge Pléistocène recouvrent l’Argile à meulières sur les plateaux, lesquels sont établis vers 160-170 m d’altitude. Ces plateaux, tantôt agricoles (plateau du Hurepoix), tantôt forestiers (massif de Rambouillet), sont entaillés de larges et profondes vallées, telles que celle de l’Yvette (appelée ici « Haute Vallée de Chevreuse ») (Fig. 1).

Topographie, hydrographie et périmètre du Parc Naturel Régional de la Haute Vallée de Chevreuse

Figure 1 : Topographie (BD Alti 25 m IGN), hydrographie (BD Carthage) et périmètre du Parc Naturel Régional de la Haute Vallée de Chevreuse

Données et méthodes

Inventaire des géosites

L’inventaire des sites d’intérêt géopatrimonial (géosites) sur le territoire du PNRHVC a reposé sur (1) les données franciliennes de l’Inventaire National du Patrimoine Géologique (INPG ; De Wever et al., 2014 ; Auberger, 2018), avec 7 sites recensés et validés nationalement sur le territoire couvert au moment de l’inventaire, (2) une liste de sites potentiels d’intérêt géologique sur le territoire du PNRHVC (Marchal, 2016) et enfin (3) des observations de terrain qui ont permis de compléter ou de conforter les inventaires préexistants.

Évaluation des géosites

La méthode d’évaluation des géosites suit celle proposée par l’« école de Lausanne » et actualisée par Reynard et al. (2016). La « valeur scientifique » des sites est ainsi évaluée selon des critères d’intégrité, de représentativité, de rareté et d’intérêt paléogéographique, tandis que les valeurs écologique, esthétique et culturelle sont prises en compte en tant que « valeurs additionnelles » (voir Reynard et al., 2016, pour le détail des critères et les modalités de l’attribution des scores).

Cartographie des géosites

La cartographie des géosites a été réalisée sous système d’information géographique (ArcGIS Pro 2.7) dans le système de projection Lambert 93. Les polygones des 7 sites déjà inventoriés dans l’INPG ont été importés depuis la plate-forme de visualisation et de téléchargement du portail Carmen de la région Île-de-France. Les polygones des 15 autres sites retenus pour l’inventaire ont été digitalisés manuellement, et leur table attributaire renseignée avec les informations suivantes : code du géosite, département, commune, lieu-dit (ou nom du géosite), intérêt principal, intérêt(s) secondaire(s). Ces informations qualitatives ont été complétées, dans la même table, par les valeurs quantitatives (scores) issues de l’évaluation numérique des différents critères aboutissant au calcul des moyennes de chaque valeur géopatrimoniale (scientifique, écologique, esthétique, culturelle ; Tab. 1). Finalement, les entités surfaciques (polygones) ont été converties en entités ponctuelles pour une représentation cartographique de la valeur scientifique des sites en cercles proportionnels (Fig. 2).

Résultats

22 géosites ont été inventoriés, évalués et cartographiés sur le territoire du PNRHVC (Tab. 1 ; Fig. 2). Le site qui présente la plus haute valeur géopatrimoniale, aussi bien sur le plan de la valeur scientifique que de ses valeurs additionnelles, est le chaos gréseux des Vaux-de-Cernay. Ce site pittoresque, associé à une capture hydrographique (Plaziat, 2012 ; Bétard, 2017), appartient à la catégorie des géomorphosites (i.e., sites d’intérêt géomorphologique) comme cinq autres sites pour lesquels la géomorphologie constitue l’intérêt principal (Tab. 1). Deux sites d’intérêt paléontologique affichent également une haute valeur scientifique : ce sont des sites associés à des meulières fossilifères (Bois de l’Épars) et à des grès stampiens à empreintes de racines et de mollusques d’eau douce (Croix du Bois). Au-delà de ces sites majeurs, l’inventaire pointe surtout la grande diversité des types de géosites et des intérêts scientifiques, puisque le territoire compte également des sites d’intérêt pédologique (tourbières), hydrologique (rivières, marais, étangs) et hydrogéologique (sources pétrifiantes, cascades tufeuses). La plupart de ces sites affichent une très haute valeur écologique, en raison de la faune et de la flore patrimoniales qu’ils supportent. Enfin, plusieurs sites relèvent d’un patrimoine géoculturel, en particulier ceux associés à l’exploitation passée des ressources naturelles du sous-sol (anciennes carrières de grès et de meulière, sablières, marnières ; dolmen de la Pierre Ardoue, abris ornés dans les Grès de Fontainebleau).

Résultats de l'évaluation numérique des géosites

Tableau 1 : Résultats de l'évaluation numérique des géosites

Carte synthétique des 22 géosites inventoriés et évalués sur le territoire du PNRHVC

Figure 2 : Carte synthétique des 22 géosites inventoriés et évalués sur le territoire du PNRHVC

Conclusion et perspectives

L’inventaire des géosites présenté dans cette fiche est une première étape vers une meilleure prise en compte du géopatrimoine dans les documents de planification, les orientations de gestion et les opérations de valorisation sur le territoire du PNRHVC. Ces éléments s’ajoutent aux autres ressources patrimoniales (biologiques, culturelles) déjà bien identifiées sur le parc par les différents acteurs du territoire. À terme, ils sont susceptibles de renforcer l’identité territoriale du parc autour de la composante non-vivante de ses paysages et de ses patrimoines, et de contribuer au développement local par la mise en place d’une offre touristique et éducative élargie. Celle-ci viendra compléter l’offre géotouristique existante sur le territoire du PNRHVC, composée pour l’heure de deux sentiers d’interprétation (Carrières des Maréchaux, Marais de Maincourt) et d’un musée de site sur les Vaux-de-Cernay (Musée du Petit Moulin). Ces quelques réalisations, dont il faudrait mesurer les retombées socio-éducatives plus qu’économiques, montrent que la thématique géopatrimoniale est déjà partiellement intégrée aux actions de développement local. L’inventaire des géosites présenté dans cette étude pourrait ainsi servir de socle pour définir une stratégie de développement géotouristique plus large et plus impactante sur le territoire du parc. Plus largement, en dehors du PNR Normandie-Maine en passe d’obtenir le label « Géoparc mondial UNESCO », cette étude vise aussi à encourager les autres PNR du Bassin parisien à se saisir de leurs ressources géopatrimoniales pour promouvoir la composante non-vivante de leurs paysages naturels et culturels.

Bibliographie

Afchain C., Labesse B., Fedoroff N., Penven M.J., Pomerol C., Renard M. (1975). Carte géologique de la France à 1/50 000, feuille Rambouillet (218), carte et notice explicative. BRGM, Orléans, 18 p.

Auberger E. (2018). Le patrimoine géologique francilien : inventaire, protection et valorisation. Thèse de Doctorat, MNHN/UPMC, 294 p.

Bétard F. (2017). Le chaos gréseux des Vaux-de-Cernay. Valorisation d’un géomorphosite majeur en Île-de-France. Dynamiques Environnementales, Cahier « Géomorphosites », 37, V-VIII.

Bétard F., Hoblea F., Portal C. (2017). Les géopatrimoines, de nouvelles ressources territoriales au service du développement local. Annales de Géographie, 717, 523-543.

De Wever P., Le Néchet Y., Cornée A., Lalanne A. (2014). Géopatrimoine en France. Mémoire hors-série de la Société géologique de France, 14, 180 p.

IAU-IDF (2010). Le Bassin parisien, une méga-région ? Les Cahiers, n° 153, 1-88.

Marchal O. (2016). Sites potentiels d’intérêt géologique sur le territoire du PNR Haute Vallée de Chevreuse. PNRHVC, janvier 2016, 32 p.

Plaziat J.C. (2012). Compléments sur le Stampien du Bassin de Paris (CD-ROM). In Lozouet P. (Ed.), Stratotype Stampien, MNHN, Biotope Editions, 1-317.

Reynard E., Perret A., Bussard J., Grangier L., Martin S. (2016). Integrated approach for the inventory and management of geomorphological heritage at the regional scale. Geoheritage, 8(1), 43-60.