Une gouvernance en construction dans les marges périurbaines de Paris

*Université Paris Nanterre, UMR CNRS 7218 LAVUE-Mosaïques, **Université Toulouse Jean Jaurès, UMR CNRS 5193 LISST-Cieu
Publié le

28 juillet 2021

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Dans la couronne périurbaine de Paris (carte 1), des coopérations s’élaborent entre l’urbain et le rural. Elles reposent sur l’emboîtement de périmètres divers autour d’une culture politique qui construit l’émancipation vis-à-vis de l’agglomération centrale ; en passant par des articulations entre l’Île-de-France, l’aire d’attraction de Paris (qui la déborde) et les régions voisines. Les expertises et projets de territoires se nourrissent tout à la fois des structures administratives des intercommunalités, de celles des territoires d’innovation que sont les PNR (Parcs naturels régionaux) et des territoires labellisés agriurbains (TAU) par la région (carte 2). Certains de ces périmètres territoriaux révèlent les transactions qui se jouent dans les marges du périurbain de Paris avec d’autres ensembles régionaux. Par exemple, le PNR Oise-Pays de France s’inscrit pleinement à l’interface de l’Île-de-France et des Hauts-de-France quand la communauté de communes du Pays houdanais organise son territoire entre Yvelines (Île-de-France) et Eure-et-Loir (région Centre).

Le périurbain de Paris, entre ville et campagne

Carte 1 : Le périurbain de Paris, entre ville et campagne

Les gouvernances de l'entre-deux

Carte 2 : Les gouvernances de l'entre-deux

Le périurbain se construit sur l’intermédiarité

Longtemps considérés comme « orphelin(s) d’une pensée aménagiste » et suspectés d’ « incompétence urbanistique » (Vanier, 2008, p. 55), les territoires périurbains semblent, depuis quelques années, davantage s’engager dans des démarches d’élaboration de leur propre développement territorial. L’analyse de la conduite de telles politiques comme des modalités de coopération montre des élus majoritairement réceptifs aux transformations qui affectent leur territoire, prêts même, pour certains, à se former et à devenir producteurs de projets et de pensées adaptés aux contextes périurbains (Vanier, 2015).

Les périmètres administratifs issus de la loi Notre en 20151 sont la résultante d’un processus de décentralisation à la faveur d’un commandement urbain pas toujours adapté aux attentes des communes rurales qui, dans la couronne périurbaine francilienne, sont pourtant majoritaires en nombre avec un poids de population qui ne fléchit pas (voir tableau). Le caractère bien souvent imposé des redécoupages/fusions des périmètres intercommunaux en grande couronne, ainsi que la création, au 1er janvier 2016, de la métropole du Grand Paris (MGP) et des intercommunalités de très grande taille dans le reste de l’agglomération parisienne, sont perçus par les élus des communes rurales comme une sorte de mort annoncée de leurs pouvoirs décisionnaires. Dans une telle configuration, certains élus considèrent uniquement la coopération intercommunale comme une plateforme d’aide au fonctionnement municipal.

La composition du périurbain de Paris

Tableau 1 : La composition du périurbain de Paris

En effet, dans l’attente de savoir « par qui ils seront mangés », ces maires2 - principalement élu-e-s de petites communes à dominante rurale - se contentent d’un usage très fonctionnel et instrumental de la structure intercommunale d’appartenance. Elle constitue une opportunité pour pallier la faiblesse de moyens, en ingénierie surtout, de leur administration municipale et l’insuffisance des services de l’État mais elle n’est aucunement pensée comme un levier pour trouver une place « choisie » dans la métropole francilienne. Pour reprendre l’expression de l’un des maires rencontrés, président d’une intercommunalité qui n’a pas été touchée par l’injonction à la fusion, ils craignent de se trouver dans une « frange », coincés entre les frontières de la métropole institutionnelle, celles de nouvelles intercommunalités XXL et les frontières de la région Île-de-France dans son périmètre actuel. Autrement dit, ils craignent d’être les « laissés-pour-compte » de la reconfiguration de la gouvernance territoriale en Île-de-France, organisée autour des pôles urbains. C’est pourquoi la référence à des entités aux missions plus rurales, telles que les PNR et les TAU (Bonin, 2020 ; Bonin et Poulot, 2020) permettent des complémentarités et des opportunités nouvelles. Des politiques d’aménagement s’inventent, des réseaux d’acteurs se dessinent pour autonomiser la réflexion des secteurs ruraux et périurbains par rapport aux réflexions portée par les acteurs plus urbains, et se mettre à l’écoute des besoins des habitants, usagers et citoyens. Ce mouvement participe d’une véritable entrée en politique du périurbain.

Une gouvernance multi-niveaux, entre position de défense et émancipation

À l’échelle régionale, la mise en œuvre de plans successifs pour l’Île-de-France3 a connu plus ou moins de succès, mais elle a tout de même contribué à la rationalisation de l’aménagement des différents espaces de la région-capitale, et par voisinage, des départements ou cantons limitrophes. À des niveaux plus intercommunaux, des expériences de gouvernance locale à la recherche d’une hybridité ville-campagne ont été testées, notamment en lien avec deux fonctions fondamentales du périurbain : la fonction résidentielle et la fonction nourricière. Ces deux dynamiques conjointes ont façonné une véritable affirmation de l’action publique dans cette couronne périurbaine.

Initiées par la Région dans les années 1980, désignées officiellement dans le SDRIF de 1994 et le plan vert de 1995 comme espaces paysagers remarquables à conserver, les prémisses des démarches de coopération « agri-urbaines » se formalisent à la fin des années 1990 (Poulot, 2014)4. Dans l’Ouest francilien, l’entrée environnementale et défensive marque les premières réflexions ; le territoire est pensé, et défendu, à travers le Schéma de Cohérence Territoriale5 notamment, comme un rempart face aux avancées du front urbain, pour préserver la qualité paysagère à laquelle les périurbains de ces territoires sont particulièrement attachés (Poulot, 2008). « Le Scot est super protecteur. On est la dernière partie verte qui laisse passer l’air marin sur Paris. Il faut protéger la plaine de Versailles comme le Vexin qui amène de l’air pur sur Paris. » (Maire de Crespières, Communauté de communes Gally-Mauldre, 78). Ce type de stratégie territoriale se retrouve dans d’autres périmètres de la grande couronne ; le Parc Naturel Régional (PNR) du Vexin ou dans le secteur de l’Association de Protection de la Plaine de Versailles et du Plateau des Alluets (APPVPA). Ces intercommunalités sont construites sur la base « d’un mariage endogame » (Estèbe, 2004) et s’inscrivent dans des stratégies de mise à distance (spatiale) par rapport au cœur de l’agglomération et des groupes sociaux qui y résident. Les élus sont dans un jeu permanent entre proximité et distance aux centralités (voir la fiche Aragau C., Rougé L., Polarités secondaires et maturations périurbaines dans l’aire d’attraction de Paris), entre une inscription dans le local et dans la mégarégion dont ils savent pleinement utiliser les ressources offertes.

Calqués dans un premier temps sur les contours de la ceinture verte du SDRIF, ces démarches vont, au fur à mesure de leur déploiement, évoluer vers des préoccupations agricoles, en particulier maraîchères, pour construire des circuits d’approvisionnement alimentaire de proximité et agréger de plus en plus d’acteurs, dont certains en dehors de la « ceinture verte » (Collectivités, SAFER6, AEV7, Terre de Liens, Chambre d’agriculture et direction de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt, Comités départementaux du tourisme, Associations d’habitants, de jardins familiaux, également des Établissements publics d’aménagement…). Cette diffusion va aussi contribuer à élargir le curseur des référentiels d’action, jusqu’alors agricole, à l’aménagement urbain, en direction des enjeux fonciers, du développement de formes d’espaces publics hybridant rural et urbain ou de réflexions autour des déplacements et des mobilités douces (Poulot et al., 2016, Fleury, 2018). « On raisonne à une échelle un peu plus grande et les soucis se règlent ensemble. Il y a un esprit qui s’est installé depuis 1993 qui fait que ça a permis d’améliorer grandement les relations et d’avoir une vision autre que celle de son propre clocher » (Maire de Ménilles, Communauté d’Agglomération des Portes de l’Eure, 27). Enfin, pour nombre d’élus, il convient de trouver sa place dans une intermédiarité positive constitutive des réalités socio-spatiales dans lesquelles leur territoire périurbain se trouve. Le cas du PNR Brie et deux Morin, en cours de concrétisation, est à ce titre éloquent, puisqu’il se présente comme l’association assumée de territoires ayant un pied dans la dynamique métropolitaine à proximité de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée et un autre dans une ruralité revendiquée, à faire urgemment reconnaître. « On a clairement un problème d’inondation du Grand Morin et de ses affluents. En 2016, 2018, chaque fois ce sont 100 à 150 foyers inondés. Or les limites administratives ignorent les ruissellements, la gestion des inondations ne peut se faire qu’à l’échelle des bassins hydrauliques. Alors il y a ce PNR, depuis 1999 on en parle, qui est sur le territoire du SMAGE des deux Morin (Syndicat mixte d’aménagement et de gestion des eaux), donc sur 3 régions, 3 départements, évidemment c’est compliqué à faire mais on tient le bon bout puisqu’on va rentrer sur la rédaction de la charte. En fait le PNR c’est le SMAGE. Puis en 1995, on est à cette période en réaction avec ce qui se passe avec l’arrivée de Disney. Tout le monde voulait son hôtel, ses zones à construire. Il a fallu qu’on s’organise, notre commune allait entièrement s’urbaniser, ça s’est joué à 15 jours près ; on a réussi à retirer 52 ha de terrains classés constructibles au SDAU. Là on a compris qu’on ne pouvait pas faire ça tout seuls donc l’idée du PNR a germé » (élu d’une commune appartenant à la communauté d’agglomération Coulommiers Pays de Brie et du futur PNR Brie-et-deux-Morin, 77).

Devenus aujourd’hui des outils de la ville durable et des enjeux de transition, ces périmètres participent d’une requalification des espaces périurbains par le biais de rédaction de chartes ou de guides, d’animation auprès des collectivités ou de démarches de séduction auprès des promoteurs immobiliers en recherche d’acceptabilité sociale à la densification. Venant modifier les paysages agricoles des territoires de l’entre-deux ville-campagne, ces dynamiques fabriquent un nouveau dialogue agriurbain à l’échelle mégarégionale, qu’il s’agisse du développement des fermes cueillettes, d’engager des démarches pour répondre enjeux de mobilité, de démarches socio-éducatives ou encore d’une évolution des pratiques d’aménagement et de développement du logement dans les villes.

En conclusion, ces territoires de projet parviennent à ajuster une action publique locale au-delà des limites administratives et à incarner le « bassin de vie » nouvellement constitué (Aragau, Boulot, Mangeney, 2018), ce qui leur donne une certaine légitimité politique. Progressivement, les périmètres de gouvernance se sont consolidés, s’arrangeant tantôt avec la gestion administrative de la localité et les enjeux plus métropolitain et/ou territoriaux, tantôt avec la démarche de projet autour de préoccupations marquées par le rural et l’agricole. Par cette démarche, il s’agit d’affirmer le caractère d’interface plus que périphérique des territoires périurbains.

1 Loi de 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République. Elle s’inscrit dans la continuité des politiques de décentralisation. Elle vise à renforcer les compétences des régions et des établissements publics de coopérations intercommunales.

2 Il est ici fait référence à des enquêtes conduites auprès d’élus de l’Ouest francilien (20 entretiens) dans le cadre d’une recherche financée par le Plan Urbanisme Construction Architecture et intitulée « Les territoires périurbains : de l’hybridation à l’intensité ? » (Juillet 2014). Pour aller plus loin : voir https://www.institutparisregion.fr/nos-travaux/publications/les-territoires-periurbains-de-lhybridation-a-lintensite/ ou le travail complémentaire réalisé par Tanguy Le Goff (https://www.institutparisregion.fr/nos-travaux/publications/qui-sont-les-maires-periurbains-de-lile-de-france/). [ART 2019]

3 Du plan Prost de 1934 au dernier schéma directeur de la Région Île-de-France (2015) en passant par le Plan d’aménagement et d’organisation générale de la région parisienne - PADOG (1960), le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la région de Paris – SDAURP – de 1965 et le Schéma directeur de la Région Île-de-France - SDRIF - de 1994, il se dégage une volonté de contrôle de l’urbanisation et du développement de la région parisienne.

4 Le terme « agri-urbain » ou « agriurbain », selon les auteurs, a une histoire récente et se définit comme «  un double mouvement de transformation physique et fonctionnelle, des activités agricoles, comme de l’aménagement du tissu urbain, et de changement de représentations et de politiques publiques » (Bonin, 2020, p.8).

5 Instauré en 2000 avec la loi SRU, le Scot remplace les SDAU (Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme). Sa vocation est de penser un projet territorial à l’échelle intercommunale avant même que les communes aient été contraintes de se constituer en intercommunalité. Ces SDAU aident certaines intercommunalités à désormais écrire leur PLUI (Plan Locale d’Urbanisme Intercommunal).

6 SAFER : Société d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural.

7 AEV : Agence des Espaces Verts de la région Île-de-France.

Bibliographie

Aragau Claire, Boulot Mireille, Mangeney Catherine, 2018, « Les bassins de vie ont-ils un sens ? Une interrogation de la proximité en périurbain francilien », Revue d’Economie Régionale et Urbaine, numéro spécial 25 ans de Proximité, pp. 1261-1286.

Bonin Sophie, 2020, « Émergence en France de l’agriurbain et modèle associatif francilien : une dynamique paysagère pour les espaces périurbains ? », Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 44-45. URL : http://journals.openedition.org/tem/6186

Bonin Sophie et Poulot Monique, 2020, « Paysage de l’agriurbain : dynamiques et projets », Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne], 44-45. URL : http://journals.openedition.org/tem/6517.

Estèbe Philippe, 2008, Gouverner la ville mobile. Intercommunalité et démocratie locale, Presses Universitaires de France, Cool. « La ville en débat », 76 p.

Fleury Antoine, 2018, « Les périurbains et leurs espaces publics : enquête sur les franges nord de la métropole parisienne », Cybergeo : European Journal of géography (En ligne), Espace, Société, Territoire, document 841. URL : http://journals.openedition.org/cybergeo/28914 

Poulot Monique, 2008, « Les territoires périurbains : « fin de partie » pour la géographie rurale ou nouvelles perspectives ? », Géocarrefour [En ligne], Vol. 83/4 | URL : http://journals.openedition.org/geocarrefour/7045 

Poulot Monique, 2014, « L’invention de l’agri-urbain en Île-de-France. Quand la ville se repense aussi autour de l’agriculture », Géocarrefour [En ligne], 89/1-2. URL : http://journals.openedition.org/geocarrefour/9363.

Poulot Monique, Aragau Claire et Rougé Lionel, 2016, « Les espaces ouverts dans le périurbain ouest francilien : entre appropriations habitantes et constructions territoriales », Géographie, économie, société, Vol. 18, n°1, pp. 89-112.

Vanier Martin, 2015, « La ville au large : les potentiels collectifs de la faible densité », Urbia, n° 17, pp. 19-32.

Vanier Martin 2008, Le pouvoir des territoires. Essai sur l’interterritorialité, Economica, Anthropos, 160 p.