Polarités secondaires et maturations périurbaines dans l’aire d’attraction de Paris

*Université Paris Nanterre, UMR CNRS 7218 LAVUE-Mosaïques, **Université Toulouse Jean Jaurès, UMR CNRS 5193 LISST-Cieu
Publié le

9 septembre 2021

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L’aire d’attraction de Paris1 est marquée par une augmentation de la présence de services et d’équipements (tableau 1), en particulier dans les quatre départements de la grande couronne francilienne, où les polarités se consolident (tableau 2). Des départements bordiers de l’Île-de-France, en particulier l’Oise, suivi de l’Eure rejoignent également largement cette dynamique. Ces deux départements sont depuis longtemps marqués par l’importance de la périurbanisation parisienne (voir la fiche Berger M., La périurbanisation parisienne à la conquête de ses marges).

Notons la place prise par les équipements de transport entre 2014 et 2019 dans l’ensemble des territoires périurbains (+14,9 % des communes), sous l’effet du développement des VTC (Voiture de Transport avec Chauffeur), là où la voiture peut offrir un complément de revenu2. Au contraire, l’évolution des équipements de santé est différenciée selon les territoires, indépendamment du nombre de communes par département. Ainsi, les Yvelines connaissent la plus forte augmentation dans ce secteur (+9) alors que ce département compte pourtant moins de communes que la Seine-et-Marne, qui a la plus faible progression (+3) sans oublier le Val-d’Oise (-3) qui enregistre des disparitions pour ce type de service (voir l’influence des profils des ménages dans la fiche Berger M., La périurbanisation parisienne à la conquête de ses marges).

Sélection par type de 41 équipements proposés par la Base Permanente des Équipements de l’INSEE (BPE)
Tableau 1 : Sélection par type de 41 équipements proposés par la Base Permanente des Équipements de l’INSEE (BPE)

Présence d’équipements dans les communes de la couronne de l’aire d’attraction de Paris : Écart 2019-2014

Tableau 2 : Présence d’équipements dans les communes de la couronne de l’aire d’attraction de Paris : Écart 2019-2014

Les cartes regroupent les communes de l’aire d’attraction de Paris en proposant un solde de la présence de ces services pour la période 2014-2019 (carte 1) et une représentation de la situation en 2019 (carte 2) afin de faire ressortir les polarités. Elles révèlent des espaces différemment affectés par la périurbanisation de Paris, dans la continuité des travaux engagés par Benjamin Motte (Motte, 2008).

Services et équipements dans le périurbain de Paris : évolution 2014-2019

Carte 1 : Services et équipements dans le périurbain de Paris : évolution 2014-2019

Services et équipements dans le périurbain de Paris : année 2019

Carte 2 : Services et équipements dans le périurbain de Paris : année 2019

Un Ouest bien maillé : renforcement des polarités jusque dans les marges de l’aire d’attraction de Paris

L’Ouest a la particularité de présenter un maillage urbain plus dense que l’Est, héritage d’une périurbanisation ancienne. Celle-ci s’est consolidée et densifiée autour de ces polarités satellites avec une décélération de l’avancée du front urbain, comparativement à l’Est où les rythmes d’étalement sont restés soutenus (Berger et al., 2014).

Trois secteurs retiennent l’attention. Le premier est celui de la vallée de la Seine, entre le front urbain de Paris et le pôle secondaire3 de Mantes-la-Jolie, où les communes de Saint-Nom-la-Bretèche et Maule (Communauté de Communes Gally-Mauldre) fonctionnent en grappes de services et d’équipements avec celles d’Orgeval et Ecquevilly (intégrées à la Communauté Urbaine Grand Paris Seine et Oise) dans une vallée de la Seine présentant d’importants programmes de logements dans le cadre de l’OIN (Opération d’Intérêt National) Seine Aval. Le second secteur voyant sa gamme de service s’enrichir, également en continuité du front urbain du pôle de Paris, est le sud du plateau de Saclay avec un ensemble de communes entre Buc, Saclay et Saint-Rémy-lès-Chevreuse, où l’arrivée de populations nouvelles est aussi liée à l’OIN Paris-Saclay. De plus, la congestion pour accéder aux pôles commerciaux régionaux, tel celui de Vélizy, joue en faveur du développement de commodités de proximité (Aragau et al., 2018). Enfin, à l’extrémité ouest des Yvelines, au contact de l’Eure et de l’Eure-et-Loir, le triangle Houdan (Communauté de Communes du Pays Houdanais, CCPH) - Anet - Dreux (toutes deux dans la Communauté d’Agglomération du Pays de Dreux) structure des territoires intercommunaux au sein desquels des localités grimpent dans la hiérarchie des pôles. Ceci est lié à la redistribution et au partage de certains services entre communes d’une même intercommunalité. Ainsi entre Houdan et Orgerus (CCPH), de petites communes telles que Bazainville (1 455 habitants en 2018) voient apparaître de nouveaux services, en particulier des services à la personne : restauration rapide, auto-école, garage automobile pour le cas de Bazainville, en plus des commerces qui se sont maintenus entre 2014 et 2019. À proximité de Dreux et d’Anet, des centralités soutiennent aussi une périurbanisation de catégories socio-professionnelles relativement modestes (voir la fiche Berger M., La périurbanisation parisienne à la conquête de ses marges), repoussées en dehors de l’Île-de-France vers la Normandie et la région Centre à cause de l’augmentation des prix de l’immobilier dans l’Ouest francilien.

Discours d’élus et d’habitants de l’Ouest francilien4 :

La structuration du périurbain s’articule, dans ce secteur ouest, avec les aspirations des ménages à plus de proximité et de vie locale : « même si je travaille à Paris, pour moi le centre de ma vie c’est Maule, ça fait centre-ville, on ne peut y aller sans rencontrer quelqu’un » (Femme, Maule) ou encore « on n’achète pas qu’un terrain, on achète un site… j’avais cette double attente, venant de la ville où j’avais tout à portée de main, de pouvoir avoir de l’espace de vie, un côté campagne, et de la proximité de services » (Couple la quarantaine, Orgerus, Yvelines, 78).

Il est aussi le fait du projet politique des élus soucieux de venir consolider l’offre existante, voire de la développer dans le cadre d’un projet urbain « pour le maintien du commerce local, on y a pensé quand on a construit un immeuble et qu’on a réaménagé la place. Dans cet immeuble on a des cases commerciales et sont arrivés un boucher, une esthéticienne ; La Poste, on l’a mise là-bas pour générer un flux et faire vivre la place et les commerces. Si on n’avait pas créé ces cases là-bas, on n’aurait plus de commerces. Aujourd’hui, je suis toujours en démarche pour essayer d’acheter ce qu’il y a autour et pour essayer de recréer cette centralité et ce cœur de village. On a eu un phénomène récent, c’est le départ du médecin. Après plus d’un an de recherches, on a transformé une maison en un groupe médical. J’attends pas les aides, j’ai dit : on y va. La supérette qui ne marchait pas très bien, on a transformé le local et il y a 310 m² qui ont été repris par une épicerie en liaison courte, et ça marche du feu de Dieu. Du fait qu’on ait fait un cabinet médical, j’ai été contacté par une kiné, qui s’est installée fin octobre, elle me dit : je bosse jusqu’à 20 h ; et là elle a une collègue qui va arriver et donc, elles cherchent une maison pour s’installer toutes les deux. On a trois infirmières qui se sont installées et j’ai un podologue qui cherche à s’implanter. Donc il y a vraiment une dynamique qui s’est créée parce qu’on a été le catalyseur. » (Maire de Ménilles, Eure, 27).

L’Est se structure

L’Est correspond pour l’essentiel au département de la Seine-et-Marne avec un prolongement de l’aire d’attraction de Paris au sud de l’Aisne. Avec le nombre le plus important de communes parmi les départements du périurbain de Paris, la Seine-et-Marne enregistre l’augmentation la plus forte en services et équipements mais la plus faible pour le secteur médical. Moins maillé que l’Ouest en petites villes, il se structure progressivement tout en restant confronté à la problématique des déserts médicaux que la presse rapporte régulièrement.

Deux secteurs méritent une attention particulière. Le premier se situe du côté de la pointe sud de l’Aisne, aux confins de l’aire d’attraction de Paris, autour des bourgades de Chézy-sur-Marne (1 351 hab. en 2018) et de Nogent-l’Artaud (2 138 hab. en 2018). À l’est de ces pôles, des localités accueillent des équipements nouveaux, principalement du service à la personne. Nous pourrions parler ici de « petits pôles de la grande distance », qui font relais avec les régions voisines où s’installent de jeunes ménages au budget contraint, en bout de ligne du réseau de transport Transilien (la gare de Chézy est desservie par les trains de la ligne P du Transilien Paris-Est parcourant la branche de Château-Thierry). Le second secteur intéressant à examiner se situe dans la continuité de Bussy-Saint-Georges et Marne-la-Vallée, communes emblématiques des poussées urbaines franciliennes les plus récentes avec la construction de grands lotissements pavillonnaires, désormais bien moins présents à l’Ouest. Ainsi entre Collégien (3 380 hab. en 2018), qui jouxte Bussy, Coulommiers (14 757 hab. en 2018) et Crécy-la-Chapelle (4 669 hab. en 2018), plusieurs communes ont vu leur palette d’équipements s’élargir avec l’apparition de 2 à 3 nouveaux services, parallèlement à une progression démographique sur la période relative due à une nouvelle offre de maisons individuelles et de petits collectifs.

Des axes de polarités au Nord et au Sud qui se consolident en direction des régions voisines

Au Nord (autour de Creil) et au Sud (près de Melun), le long d’axes majeurs tels que les autoroutes A1, A6 et A5, mais aussi des branches nord et sud du RER D et du Transilien, d’anciennes centralités se sont maintenues, formant des lignes structurantes de la périurbanisation en direction respectivement de l’Oise au Nord (Berroir, 2017) et de l’Yonne au Sud. Lieux de passage des mobilités de fin de semaine pour des Parisiens ayant des résidences secondaires, elles se sont nourries de mouvements migratoires complémentaires (pendulaires et hebdomadaires) de plus ou moins long cours. Dans le dernier SDRIF (Schéma Directeur Régional d’Ile-de-France) approuvé en 2013, nombre de ces communes sont pastillées comme « secteur d’urbanisation préférentielle » et « pôle de centralité à conforter » pour accompagner la densification avec du petit collectif. Associés à ces nouveaux programmes immobiliers, des commerces et services de rez-de-chaussée ont été créés dans un objectif de multifonctionnalité des quartiers.

Au Nord, à l’ouest de Creil, autour de Mouy et de Clermont, des communes ont tout particulièrement gagné en équipements, bien plus que du côté de Senlis dont la gare a fermé en 2003. Creil est le terminus de la ligne H du Transilien, mais les localités situées à l’ouest de Creil sont desservies par le TER Hauts-de-France depuis la gare du Nord. Elles drainent une périurbanisation de ménages à bas revenus quittant des secteurs de grands ensembles du Val-d’Oise et de Seine-Saint-Denis.

En conclusion, tandis que la 1ère couronne périurbaine se structure fortement au contact immédiat du front urbain parisien, une constellation de pôles de services et d’équipements - petits, moyens et grands – essaime en grande couronne de part et d’autre des limites administratives de l’Île-de-France. Vecteurs d’émancipation vis-à-vis de l’agglomération centrale, ces polarités nourrissent le fonctionnement d’une grande région parisienne qui se réorganise dans ses voisinages régionaux par articulation avec les bourgs et petites villes des départements bordiers. Le périurbain gagne en épaisseur (Vanier, 2012 ; Rougé, 2009) avec des mobilités qui épousent l’amélioration du maillage en services et équipements dans un espace métropolisé allant bien au-delà de la seule agglomération parisienne.

1 Selon la nouvelle typologie de l’INSEE, 2020.

2 En 2014, seuls les taxis sont répertoriés, les VTC n’apparaissent qu’en 2019. La comparaison reste intéressante car elle repose sur la simple présence et non le nombre d’équipements. L’augmentation du nombre de communes comptant la présence de ce service, qu’il s’agisse d’un taxi et/ou d’un VTC marque bien le développement de cette commodité dans le périurbain.

3 D’après l’INSEE. Voir la note méthodologique sur la constitution des aires d’attraction des villes 2020 : https://www.insee.fr/fr/information/4803954.

4 Les entretiens sont issus du rapport de recherche « Les territoires périurbains : de l’hybridation à l’intensité ? », PUCA, Juillet 2014. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01145733.

Bibliographie

Aragau Claire, Bouleau Mireille, et Mangeney Catherine, 2018, « Les bassins de vie ont-ils un sens ? Une interrogation de la proximité en périurbain francilien », Revue d’Économie Régionale & Urbaine, vol. décembre, no. 5-6, pp. 1261-1286.

Berroir Sandrine, Delage Matthieu, Fleury Antoine, Fol Sylvie, Guérois Marianne, Maulat Juliette, Raad Lina, Vallée Julie, Viana Cerqueira Eugênia, 2017, « Petites villes périurbaines et ancrage local des habitants. Les cas de Méru et Senlis dans l’Oise », Espaces et sociétés, vol. 168-169, no. 1-2  pp. 69-88.

Martine Berger, Claire Aragau et Lionel Rougé, 2014, « Vers une maturité des territoires périurbains ? », EchoGéo [En ligne], 27 | 2014. URL : http://journals.openedition.org/echogeo/13683 ; DOI : https://doi.org/10.4000/echogeo.13683

Motte-Baumvol Benjamin, 2008, « L’accès des ménages aux services dans l’espace périurbain francilien », Strates : Matériaux pour la recherche en sciences sociales , Laboratoire Dynamiques sociales et recomposition des espaces, 14, pp.149-164.

Rougé Lionel, 2009, « L’installation périurbaine entre risque de captivité et opportunités d’autonomisation », Articulo - Journal of Urban Research [Online], 5 |  URL: http://journals.openedition.org/articulo/1440

Vanier Martin, 2012. « Dans l'épaisseur du périurbain », Espaces et sociétés, vol. 148-149, no. 1, pp. 211-218.