La périurbanisation parisienne à la conquête de ses marges

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 8586 Prodig
Publié le

29 juin 2021

Des ménages venus d’Île-de-France dans le périurbain du Bassin parisien proche

Alors que la périurbanisation ralentit fortement en Île-de-France, où le solde migratoire des communes périurbaines n’atteignait pas un millier d’habitants en 2017 (au lieu de 16 600 par an entre 1982 et 1990), les échanges avec les départements bordiers ne fléchissent pas. Selon le recensement de 2017, un ménage sur 6 quittant l’Île-de-France se dirige vers le Bassin parisien proche (6 sur 10 d’entre eux vers une commune périurbaine où 3 sur 4 s’installent dans une maison individuelle, 7 sur 10 comme propriétaires). Dans ces huit départements, les Franciliens d’origine représentent en 2017 près d’un cinquième des propriétaires de pavillons nouveaux installés dans l’espace périurbain. Ils se concentrent dans les couronnes proches du pôle urbain parisien : 6 sur 10 s’installent entre 40 et 80 km de Paris, où ils comptent pour un tiers des nouveaux emménagés.

Le tropisme des Franciliens vers les franges de la région n’est pas nouveau (Berger, 2004 ; Beaufils, 2013 ; Sagot, 2021). Si le solde des échanges entre l’Île-de-France et les départements bordiers croît modérément – d’un volume annuel de 15 400 habitants (toutes destinations et tous types de logements confondus) entre 1982 et 1990, à 17 700 en 2017 – les flux entrants et sortants augmentent sensiblement (graphique 1). Les échanges avec les départements situés à l’Est de la région, plus éloignés du pôle parisien, demeurent nettement plus faibles, et il s’agit plus souvent de mouvements interurbains, sauf dans l’Yonne, qui accueille dans ses campagnes de nombreux retraités franciliens. L’Ouest de la zone, de l’Oise au Loiret, reçoit nettement plus de ménages d’actifs s’installant dans des pavillons périurbains. L’Oise capte un tiers du solde des migrations, et plus d’un quart des propriétaires pavillonnaires venus d’Île-de-France : très proche des pôles d’emploi franciliens, le sud du département est intégré de longue date au système urbain parisien.

Migrations entre le Bassin parisien proche et l'Île-de-France

Graphique 1 : Migrations entre le Bassin parisien proche et l'Île-de-France

Entre 1990 et 2017, l’origine des ménages quittant l’Île-de-France pour un pavillon périurbain dans le Bassin parisien proche a évolué : 2 ménages sur 3, en 2017, viennent de la grande couronne (4 sur 10 en 1990), 3 sur 10 habitaient déjà une commune périurbaine (un sur 10 en 1990), leurs distances moyennes de déménagement1 diminuent (de 77 km en 1990 à 65 en 2017, et de 46 à 39 km pour ceux qui s’installent dans l’Oise). Cadres et professions intermédiaires comptent désormais pour 40 % de ces ménages (28 % en 1990), la part des ouvriers se réduit (de 22 % à 17 %) au profit des employés (passant de 10 à 20 %), celle de retraités diminue de moitié. Plus fréquemment propriétaires aujourd’hui de leur résidence principale, disposant de logements plus confortables, moins souvent d’origine provinciale, les retraités franciliens quittent moins la capitale. Ils possèdent aussi moins souvent des résidences secondaires dans le Bassin parisien proche ou pratiquent la double résidence, tant que leurs compétences automobiles le permettent.

Vers une maturité du périurbain : l’exemple de l’ouest de l’aire urbaine parisienne

On observe une intégration croissante des couronnes périurbaines aux franges de l’Île-de-France de part et d’autre de la limite régionale dans un même système résidentiel et dans les mêmes bassins d’emplois, particulièrement à l’Ouest, où la périurbanisation est ancienne et s’effectue au contact des aires urbaines voisines (Poulot et al., 2015). Dans les Yvelines, le Val d’Oise et une auréole de cantons situés dans l’Oise, l’Eure, la Seine-Maritime et l’Eure-et-Loir, dans un rayon de 20 à 120 km de Paris, on observe un fort gradient social dans la distribution des ménages de cadres propriétaires de pavillons périurbains (carte 1, graphique 2). Leur part décroît avec la distance au pôle parisien (à l’inverse de celle des ouvriers) et n’atteint pas les mêmes niveaux autour des pôles urbains secondaires, alors que professions intermédiaires, employés et retraités sont plus régulièrement répartis dans l’ensemble de la zone.

Les cadres propriétaires de pavillons périurbains dans l'ouest de la région parisienne

Carte 1 : Les cadres propriétaires de pavillons périurbains dans l'ouest de la région parisienne

De 1990 à 2017, la part de différents groupes sociaux parmi les propriétaires de pavillons périurbains évolue sensiblement. Celle des ouvriers chute de 22 % en 1990 à 12 % en 2017, sous l’effet d’une baisse des actifs de la catégorie (avec la montée en qualification enregistrée dans le système productif francilien) et d’un renchérissement des coûts (avec la raréfaction de l’offre neuve et la forte concurrence pour les acquisitions dans l’ancien).

Les périurbains propriétaires de maisons individuelles dans l'ouest de la région parisienne

Graphique 2 : Les périurbains propriétaires de maisons individuelles dans l'ouest de la région parisienne

Parmi les nouveaux emménagés, la part des professions intermédiaires - très régulièrement implantées (Aragau et al., 2016 et 2019) - se renforce (22 % en 1990, 28 % en 2017), tout comme celle des employés (qui passe de 9 à 19 %). Celle des cadres se stabilise (y compris dans les communes périurbaines jouxtant les banlieues privilégiées de l’Ouest parisien), après une forte poussée dans les années 1980 (Berger, 2019). De plus en plus souvent composés de couples biactifs, les ménages cadres cherchent à réduire leurs temps de transport en s’installant dans les quartiers gentrifiés du cœur de la métropole ou dans le parc pavillonnaire de la banlieue ouest, bénéficiant d’un bon niveau d’équipements et de desserte par les transports collectifs. Mais ceci s’accompagne, dans la première couronne périurbaine, d’une part croissante des cadres retraités, du fait du vieillissement sur place des premiers installés.

Dans cette première couronne périurbaine, le semis dense de petites villes et de gros bourgs, gonflés par l’arrivée de nombreux candidats à la propriété pavillonnaire dans les années 1980-90, a connu un renforcement important de l’offre d’équipements, de commerces et de services (cf. fiche services et équipements). Malgré des prix fonciers un peu plus élevés que dans les communes rurales, ils attirent aussi les catégories moyennes et modestes qui cherchent à réduire leurs coûts de déplacements, alors que les cadres demeurent plus sensibles à l’environnement naturel et au bâti villageois de communes moins peuplées, surtout dans les espaces protégés dont les périmètres s’étendent (parcs naturels régionaux par exemple).

Ces petites villes et bourgs périurbains attirent ou fixent des retraités, qui constituent aujourd’hui le groupe le plus nombreux de propriétaires périurbains (un tiers des ménages en 2017, au lieu d’un quart en 1990), quelle que soit la distance à Paris : il additionne le stock villageois ancien des couronnes les plus éloignées et les ménages installés lors de la grande vague périurbaine des années 1970-80, aujourd’hui retraités. Parmi eux, la part des anciens cadres ou professions intermédiaires augmente tandis que celle des anciens ouvriers et employés diminue. Peu mobiles compte tenu de leur âge et très peu nombreux parmi les nouveaux installés (6 % en 1990, 4 % en 2017), ils sont les principaux vendeurs et alimentent très largement l’offre pavillonnaire, alors que la construction neuve se raréfie face à des règlements communaux d’urbanisme de plus en plus restrictifs.

En conclusion, en un demi-siècle, la périurbanisation a profondément modifié les sociétés rurales et les petites villes de l’aire urbaine parisienne. S’il est trop tôt pour mesurer les effets de la crise du covid19, la demande de campagne et l’extension du télétravail vont dans le sens d’un regain d’intérêt pour les pavillons périurbains, avec un renchérissement des prix, alors que le volume de l’offre dépend surtout des mises sur le marché par les retraités périurbains (dont 2 sur 3 ont aujourd’hui moins de 75 ans). Il est probable que la demande de pavillons et de grands logements se portera plutôt vers les petites villes de la zone disposant d’une bonne desserte vers la métropole parisienne.

Sources et méthodes

L’espace périurbain est celui du zonage en aires urbaines de 2010. Les données mobilisées sont issues des fichiers-détail des recensements de population de 1990 et 2017, qui renseignent la commune du logement précédent : en 1990, c’est l’adresse en 1982 ; en 2017, celle de l'année précédente. S’agissant de ménages propriétaires, peu mobiles et résidant dans des espaces principalement ruraux, un comptage annuel ne permet pas de cartographier les flux à l’échelle communale. L’analyse des profils socioprofessionnels des emménagés récents renseigne cependant sur les tendances générales d’évolution des espaces périurbains.

1 Calculées à vol d’oiseau, entre chefs-lieux de communes.

Bibliographie

Aragau C., Berger M., Rougé L., 2016. « Les classes moyennes dans les couronnes périurbaines : l’exemple de l’ouest de la région parisienne », Cybergéo : European Journal of Geography [En ligne], Espace, Société, Territoire, document 775, mis en ligne le 18 mars 2016. URL : http://cybergeo.revues.org/27532 ; DOI : 10.4000/cybergeo.27532

Aragau C., Berger M., Rougé L, 2019. « The Middle Classes in the west Paris Periurban Fringes », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Espace, Société, Territoire, document775, URL : http://journals.openedition.org/cybergeo/32555

Beaufils S., 2013. Débordement modéré de la population francilienne sur les départements limitrophes. Atlas des franciliens, Insee-Iaurif, p. 24-27.

Berger M., 2004. Les périurbains de Paris. De la ville dense à la métropole éclatée. Paris, CNRS Editions.

Berger M., Aragau C., Rougé L., 2014. « Vers une maturité des territoires périurbains ? », EchoGéo, 27. URL : http://echogeo.revues.org/13683

Berger M., 2019, « Vers un deuxième âge périurbain ? L’exemple de l’ouest francilien », Espace populations sociétés [En ligne], 2019-2 URL : http://journals.openedition.org/eps/8870

Poulot M., Aragau C., Berger M., Rougé L., Mettetal L., 2015, Les territoires périurbains : de l’hybridation à l’intensité, PUCA, LAVUE-Mosaïques, PRODIG, ESO, IAU-Idf, 320 p. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01145733v1

Sagot M., 2021. L’attractivité des franges de l’Île-de-France confirmée bien avant la crise sanitaire. Institut Paris-Région. Les Franciliens, territoires et modes de vie, 4 mars 2021. https://www.institutparisregion.fr/societe-et-habitat/les-franciliens/lattra.