La mobilité pendulaire des actifs interurbains à destination du pôle urbain de Paris

Université Gustave Eiffel, UMR LVMT
Publié le

28 juin 2021

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En France, la dernière enquête nationale sur les déplacements atteste du rôle central des déplacements domicile-travail dans la mobilité : ils restent le premier motif de déplacement et comptent pour une part importante des kilomètres parcourus par les travailleurs quotidiennement (41 %). Or, depuis 1982, ces distances sont en augmentation constante : 9 km en moyenne en 1982, 12 km en 1994, et près de 15 km en 2008 (François, 2010). Parmi ces déplacements pendulaires, les déplacements interurbains (entre deux aires urbaines) tiennent une place importante dans la hausse constatée. S’ils sont proportionnellement peu nombreux (10 %), ces déplacements reposant sur l’usage de l’automobile sur de grandes distances soulèvent des questions quant à leurs conséquences environnementales et sociales (Conti, 2016).

En France, ces déplacements ont fait l’objet de plusieurs recherches qualitatives à travers différentes monographies qui se sont particulièrement concentrées sur l’analyse d’un cas particulier : les flux en train des personnes qui travaillent à Paris alors qu’elles résident dans d’autres villes comme Rouen (Meissonnier, 2001), Le Mans (Lanéelle, 2006) ou Tours (Beauvais et al., 2007). L’objectif de cette fiche est de proposer un complément à ces études en proposant une analyse quantitative et spatiale des personnes qui viennent travailler dans l’agglomération parisienne alors qu’elles résident dans une ville de la mégarégion parisienne. Il s’agit de proposer une analyse du profil sociodémographique de ces actifs au regard de leurs caractéristiques individuelles, de leurs localisations résidentielles et d’emploi ainsi que des modes de transport utilisés.

Pour analyser les pratiques de mobilité des travailleurs interurbains de la mégarégion, les données de l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) sont mobilisées (les fichiers « Mobilités professionnelles » du recensement de 2017 et le zonage en aires urbaines de 2010). Les actifs interurbains sont définis à partir de leurs aires urbaines de résidence et de travail : les interurbains de la mégarégion parisienne sont les actifs résidant dans une aire urbaine moyenne ou grande du périmètre Polynet1 (Hall, Pain, 2006) et travaillant dans le pôle urbain de l’aire urbaine de Paris. Ces actifs interurbains seront notamment comparés aux actifs « intraurbains » : les actifs qui résident dans l’aire urbaine de Paris et travaillent dans le pôle urbain de Paris. Ces deux profils seront comparés car ils sont des marqueurs de l’attractivité du pôle urbain à deux échelles (celle de la région Île-de-France et celle du Bassin parisien). De fait, les autres actifs qui ne sont pas attirés par le pôle urbain de Paris ou qui ne résident pas dans une aire urbaine sont exclus de l’analyse (ceux qui résident dans les communes multipolarisées ainsi que tous ceux qui travaillent dans la couronne périurbaine de l’aire urbaine parisienne). Ce choix permet de concentrer l’analyse sur les liens entre des polarités importantes du Bassin parisien et de mettre de côté certains effets de bords.

Les interurbains : un profil atypique avec fort ancrage local

86 697 interurbains résident dans les aires urbaines du Bassin parisien et travaillent dans le pôle urbain de Paris. Ces actifs interurbains ont un profil atypique pour plusieurs raisons (Tableau 1). Tout d’abord, les hommes sont majoritaires dans ce type de déplacement. Quantitativement, cette différence entre genres est similaire aux résultats d’une étude ancienne sur les grands migrants SNCF travaillant à Paris et vivant à plus 100 km de Paris (Marotel et al., 1983) : deux tiers d’hommes et un tiers de femmes contre une répartition plus équilibrée en Île-de-France et dans le reste de la France. La part des cadres est très importante (30 %), il s’agit de la profession et catégorie sociale la plus représentée devant les professions intermédiaires (27 %), les employés (22 %) et les ouvriers (17 %). Cette distribution est comparable aux profils socioprofessionnels des travailleurs intraurbains de Paris (31 % de cadres).

Caractéristiques individuelles des interurbains du bassin parisien comparées à celles des intraurbains et de l’ensemble des actifs

Tableau 1 : Caractéristiques individuelles des interurbains du bassin parisien comparées à celles des intraurbains et de l’ensemble des actifs

Par ailleurs, plusieurs éléments vont dans le sens de résultats portés par les études qualitatives sur la situation d’ancrage résidentielle de ces actifs (Ravalet et al., 2015). Les interurbains sont davantage titulaires de contrats de travail permanents (83 %) et propriétaires de logements (64 %) situé majoritairement en zone dense (76 %) : une mobilité quotidienne de longue portée associé à une localisation résidentielle dans une aire urbaine de plus petite taille semble être préférée à un déménagement en région Ile-de-France permettant de se rapprocher du lieu de travail (Meissonnier, 2001). En revanche, les résultats concernant l’usage des transports collectifs par les interurbains (49 %) et la localisation du lieu de travail dans la commune de Paris (pour seulement 40 % d’entre eux) permettent de souligner une diversité d’usage qui n’étaient pas mises en avant par les analyses qualitatives (Meissonnier, 2001 ; Lanéelle, 2006 ; Beauvais et al., 2007).

L’agglomération parisienne attire les actifs des villes des franges franciliennes

La géographie des lieux de résidence des actifs au sein du Bassin parisien permet de mettre en lumière les effets de proximité et de taille (Carte 1). Les aires urbaines situées aux franges de l’aire urbaine de Paris sont parmi les plus émettrices d’actifs interurbains : Creil (11 897), Rouen (6 052), Orléans (6 087) ou Chartres (5 448). Les interurbains provenant de ces aires urbaines ne travaillent pourtant pas en majorité dans la commune de Paris (autour de 40 % pour ces quatre aires urbaines). En revanche, les actifs résidant dans certaines aires urbaines plus éloignées, comme Amiens ou Le Mans, se déplacent davantage vers la commune de Paris. Il semblerait que les travailleurs qui vivent loin et doivent donc se déplacer sur de plus grandes distances travaillent plutôt dans la commune de Paris, alors que ceux qui résident à proximité travaillent aussi dans les pôles d’emplois périphériques de l’agglomération parisienne tels que Roissy ou Saint-Quentin-en-Yvelines.

Lieux de résidence des navetteurs interurbains travaillant dans le pôle urbain de Paris

Carte 1 : Lieux de résidence des navetteurs interurbains travaillant dans le pôle urbain de Paris

Paris, commune dominante, mais pas majoritaire de l’attraction des interurbains

Communes de travail des navetteurs interurbains dans le pôle urbain de Paris

Carte 2 : Communes de travail des navetteurs interurbains dans le pôle urbain de Paris

Certes, les vingt arrondissements de la commune de Paris attirent une part très importante des interurbains de la mégarégion avec 35 000 individus concernés (40 %). Toutefois, si Paris tient une place prééminente, d’autres communes de petite couronne ou plus périphériques sont aussi attractives (Carte 2). C’est notamment le cas du secteur de La Défense (3 700 actifs) ou de Saint-Denis (presque 2 000 actifs) en petite couronne, et des communes de deuxième couronne comme Roissy-en-France, Guyancourt ou Versailles. L’analyse de cette pratique de mobilité interurbaine vers l’agglomération parisienne depuis les villes de la mégarégion est donc plus complexe qu’une polarisation unique de la commune de Paris ou des arrondissements accueillant les gares ferroviaires parisiennes. En effet, au-delà de la variété des lieux d’emplois, c’est aussi l’usage différencié des modes de transport qui est à souligner.

Les transports collectifs pour se rendre dans la commune de Paris, la voiture ailleurs

Si l’usage des transports collectifs pour se rendre au travail est très important pour les interurbains du bassin parisien (49 %) par rapport à l’ensemble des actifs (15 %), ce chiffre est assez comparable avec les pratiques des actifs de l’aire urbaine parisienne (46 %). Toutefois, ici encore l’image du navetteur se déplaçant uniquement avec ce mode de transport est ébranlée puisque 49 % d’entre eux se déplacent également en automobile. Un des facteurs explicatifs de ces différences repose sur la double localisation du lieu de résidence et du lieu d’emploi (Tableau 2). Les personnes qui résident dans un pôle urbain et travaillent à Paris se déplacent effectivement en grande partie en transports collectifs (74 %), mais ce chiffre baisse pour ceux qui résident dans les couronnes périurbaines (60 %). L’usage de l’automobile devient alors largement majoritaire (64 %) dès lors que le lieu de travail des interurbains n’est plus dans la commune de Paris, mais dans un des pôles périphériques identifiés précédemment.

Part modale des interurbains en fonction de leur lieu de résidence au sein de l’aire urbaine et de leur lieu de travail au sein du pôle urbain parisien

Tableau 2 : Part modale des interurbains en fonction de leur lieu de résidence au sein de l’aire urbaine et de leur lieu de travail au sein du pôle urbain parisien

Cette forme de mobilité interroge donc les politiques d’aménagement du territoire, de transport et de logement. Elle soulève à la fois des enjeux d’inégalités sociales (problème d’accès à l’emploi, injonction à la mobilité) mais aussi de questionnement quant aux enjeux environnementaux et notamment aux émissions de CO2 (usage de l’automobile sur de grandes distances). Il s’agit donc pour ces politiques de sortir du cadre régional et d’envisager un changement d’échelle afin de mieux considérer les déplacements réguliers entre régions et notamment ceux réalisés au sein du Bassin parisien.

1 Périmètre Polynet : Haute-Normandie, Basse-Normandie (sans Manche), Sarthe, Picardie, Champagne-Ardenne (sans Haute-Marne), Yonne, Centre (sans Indre, sans Indre-et-Loire et sans Cher) et Île-de-France.

Bibliographie

Beauvais J.-M., Fouquet J.-P., Assegond C., 2007, Recherche sur le développement de la grande vitesse et de la bi-résidentialité. Rentrer chez soi chaque soir ou une fois par semaine ?, Rapport final Predit.

Conti B., 2016, La mobilité pendulaire interurbaine en France face aux enjeux du changement climatique : caractérisation socio-économique, analyse spatiale et potentiels de report modal, Thèse de doctorat en aménagement de l’espace, urbanisme, Université ParisEst, 388p.

François D., 2010, Se rendre au travail : distances et temps de transport s’allongent, La Revue du CGDD, décembre, p. 83-98.

Hall P. G., Pain, K., 2006, The polycentric metropolis: learning from mega-city regions in Europe, Routledge, 246p.

Lanéelle X., 2006, Navette domicile-travail à grande vitesse : situation d’exception, arrangement traditionnel, Cahiers du Genre, vol. 2, n° 41, p. 159-180.

Marotel G., Davee M.-M., Tarrius A., 1983, Travailler à Paris, vivre à… 100 km : les migrants SNCF en grande région parisienne, Arcueil : IRT (Institut de Recherche sur les Transports), Note d’information n° 27.

Meissonnier J., 2001, Provincilien : les voyageurs du quotidien, entre capitale et province, Collection Logique Sociale, Paris : L’Harmattan, 320p.

Ravalet E., Vincent-Geslin S., Kaufmann V., Viry G., Dubois Y., 2015, Grandes mobilités liées au travail, perspective européenne, Paris : Édition Economica, 200p.