La Seine-et-Marne, un espace au centre des nouvelles dynamiques de l’emploi en Île-de-France et au sein de la mégarégion ?
28 juin 2021
L’emploi francilien, bien que polarisé par Paris, est traditionnellement situé à l’ouest et au nord de l’Île-de-France. Toutefois un rééquilibrage vers le sud et l’est de la région s’opère depuis quelques années, comme l’affirme l’Insee en 2019 : « Pour autant, les navettes depuis la grande couronne vers Paris progressent depuis l’est et le sud franciliens et diminuent depuis l’ouest et le nord […] Cette poursuite de l’étalement parisien vers l’est et le sud de l’Île-de-France pourrait perdurer avec le déploiement du Grand Paris Express. ». La situation de la Seine-et-Marne, à l’est de la région francilienne, fait donc du département un espace privilégié pour illustrer les dynamiques de rééquilibrage de l’emploi en Île-de-France et au sein de la mégarégion.
Cette étude portant sur la mégarégion parisienne soulève de nombreuses questions méthodologiques. En effet, cet espace n’a pas d’existence juridique ou administrative et ses contours ne sont pas clairement définis. Aborder ce sujet sous l’angle de l’emploi et des navettes domicile-travail apporte aussi des interrogations complexes sur la sélection du zonage d’emploi adapté. En outre, la multiplicité des zonages d’observation de l’emploi complique les comparaisons car les critères de découpage1 diffèrent selon le zonage adopté.
Le choix de la Seine-et-Marne comme zone d’étude s’accompagne également d’un questionnement théorique : ce territoire est-il un choix pertinent d’échelle pour tenter d’illustrer les dynamiques de la mégarégion ? C’est le parti pris de cette analyse qui, en se référant aux complémentarités de ces deux échelles d’analyse, invite à s’interroger sur leurs caractéristiques communes et leurs différences. Paris est au centre de la mégarégion, mais polarise-t-elle la Seine-et-Marne et les autres territoires de la mégarégion de la même façon ? Le gradient ouest-est observé en termes d’emplois en Île-de-France s’observe-t-il également au sein de la mégarégion ? La Seine-et-Marne attire-t-elle des actifs issus de la mégarégion ?
Le cadrage de l’étude : départements limitrophes, zones et bassins d’emploi
Pour délimiter les contours de la mégarégion parisienne, nous avons choisi de sélectionner les territoires des départements limitrophes à l’Île-de-France (sont inclus dans l’analyse : les départements de l’Aisne, l’Aube, l’Eure, l’Eure-et-Loir, Loiret, Marne, Oise, Paris, Seine-et-Marne, Yvelines, Yonne, Essonne, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne et Val-d’Oise). Pour analyser les enjeux de mobilités professionnelles et affiner l’échelle d’observation au niveau infra-départemental, trois zonages d’emploi ont été mobilisés. D’une part, les zones d’emploi telles que définies par l’Insee en 2010 et révisées en 2020, pour permettre d’analyser les migrations domicile/travail des actifs entre l’Île-de-France et ses départements limitrophes, et d’autre part le zonage en bassins d’emploi, qui est privilégié pour l’analyse francilienne2 et infra-départementale.
Une concentration de l’emploi qui décroît avec la distance à Paris
La zone d’emploi (2010) de Paris concentre en 2019 30 % de la population de la mégarérion telle que définie dans cette étude, 40 % des emplois et 50 % des établissements. Cela représente 1 817 650 emplois dans la seule ville de Paris et 3 823 765 emplois dans la métropole du Grand Paris. La commune de Paris (105 km²), les quatre départements de grande couronne (11 249 km²) et les huit départements limitrophes à l’Île-de-France (53 516 km²) concentrent schématiquement le même nombre d’emplois. En effet, la grande couronne concentre 1 857 054 emplois et l’ensemble des 8 départements limitrophes à l’Île-de-France, 1 522 747 emplois. Par conséquent, la concentration de l’emploi décroît au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la capitale.
Carte 1 : Périmètre de la mégarégion parisienne et nombre d’emplois par département
En termes de déplacement entre le domicile et le lieu de travail, la métropole du Grand Paris attire 831 450 actifs résidant en grande couronne : 211 065 viennent de Seine-et-Marne (34 % des actifs seine-et-marnais), 225 344 des Yvelines (35,5 % des actifs), 210 546 du Val-d’Oise (40 % des actifs) et 184 494 de l’Essonne (32,4 % des actifs). Quant à la ville de Paris, elle attire 959 000 actifs venant du reste de l’Île-de-France, dont 2/3 de petite couronne (591 909 actifs) et près d’un tiers (367 094 actifs) de grande couronne. En revanche, les 8 départements limitrophes à la région Île-de-France représentent une plus petite part des actifs travaillant dans la commune de Paris (51 755 actifs, soit 20 fois moins que l’Île-de-France). Les départements limitrophes à la région Île-de-France retenus dans l’étude comptent près de 1,7 million d’actifs occupés, dont environ 1,2 actif sur 10 (soit 217 289 actifs) se déplace dans la région francilienne pour travailler (dont 88 % dans les zones d’emplois limitrophes à l’Île-de-France).
Les actifs des franges de l’Île-de-France privilégient le nord et l’ouest de la grande couronne
Les actifs originaires des départements limitrophes à la région francilienne privilégient davantage la grande couronne (116 728 actifs) que la petite couronne pour travailler (100 561 actifs). Les départements situés aux franges nord et ouest de l’Île-de-France sont ceux qui comptent le plus de navetteurs travaillant en Île-de-France : 89 324 (40 % des actifs navetteurs) résident dans l’Oise, 40 339 (18 % des actifs navetteurs) dans l’Eure-et-Loir et 30 445 (13,8 % des actifs navetteurs) dans l’Eure. Parmi les navetteurs des franges de la région qui se déplacent en grande couronne, 70 % (81 451 actifs) se rendent dans le Val-d’Oise et les Yvelines alors que seulement 30 % (35 277 actifs) se rendent en Essonne et en Seine-et-Marne pour travailler.
L’attractivité de l’Île-de-France auprès des navetteurs résidant dans les territoires du nord et de l’ouest des franges de l’Île-de-France est documentée par l’Insee. Les grands axes de communication, en particulier les réseaux de transport routiers (autoroutes A1, A4...) ou ferroviaires, structurent la mégarégion en facilitant les échanges. Il existe une logique de proximité dans la forte attractivité des départements franciliens de grande couronne pour les départements limitrophes à l’Île-de-France, qui se matérialise de la façon suivante :
- 81,2 % des actifs navetteurs originaires d’un département limitrophe à l’Île-de-France et travaillant dans le Val-d’Oise viennent de l’Oise ;
- 57,8% des actifs navetteurs originaires d’un département limitrophe à l’Île-de-France et qui travaillent dans les Yvelines viennent de l’Eure-et-Loir et 32,1 % de l’Eure ;
- 44% des actifs navetteurs originaires d’un département limitrophe à l’Île-de-France qui travaillent en Essonne viennent du Loiret et 36,1 % de l’Eure-et-Loir.
Carte 2 : Actifs résidant dans un département limitrophe et travaillant en Île-de-France
À la différence des autres départements de grande couronne fonctionnant en binôme ou en trinôme avec leurs départements limitrophes situés hors Île-de-France, les actifs navetteurs résidant dans ces espaces et travaillant en Seine-et-Marne viennent de plusieurs départements dans des proportions importantes, une spécificité liée à la taille du territoire seine-et-marnais qui partage une limite administrative avec 6 des 8 départements. En effet, parmi les navetteurs travaillent en Seine-et-Marne, 18,6 % viennent de l’Aisne, 17,4 % du Loiret, 22,9 % de l’Oise et 23,4 % de l’Yonne. Une influence moins importante s’observe pour la Marne avec 6,9 % des actifs et l’Aube avec 8,1 %.
En Seine-et-Marne, un actif sur trois travaille dans la Métropole du Grand Paris
Les grandes tendances de localisations et de dynamiques de l’emploi francilien se retrouvent au sein du territoire seine-et-marnais, avec un gradient ouest/est qui se dessine au fur et à mesure que l’on s’éloigne des zones de concentration de l’emploi (métropole du Grand Paris et départements de grande couronne) situées à l’extérieur du département. Ainsi les actifs résidant dans les bassins frontaliers de la petite et grande couronne sont plus de 50% à travailler en dehors de la Seine-et-Marne (62% à Grand Roissy-Le Bourget, 53 % à Porte Sud du Grand Paris et 52 % à Marne-la-Vallée), alors que dans les bassins du centre, de l’est et du sud, 2 actifs sur 3 travaillent en Seine-et-Marne. Notons, toutefois, que même les bassins d’emploi les plus éloignés de la Métropole du Grand Paris (Brie-Créçois et Est 77) accueillent une part d’actifs (respectivement 24,9 %, soit 10 057 actifs et 21,5 %, soit 13 235 actifs) allant y travailler assez élevée au regard de la distance (par exemple Provins, dans le bassin d’emploi Est 77, se situe à 90 km de Paris) et du temps (environ 1h30 est nécessaire que ce soit en voiture ou en train pour se rendre à Paris depuis Provins).
Figure 1 : Lieu d'emploi de la population active occupée par bassin d'emploi de résidence en Seine-et-Marne en 2017
Une offre d’emploi qui s’étoffe en Seine-et-Marne, attirant des actifs de la métropole du Grand Paris et des départements situés aux franges de la Seine-et-Marne
En 2017, dans le département, 22,6 % des emplois (soit 103 760 emplois) sont occupés par des actifs vivant hors de Seine-et-Marne. Les actifs venant travailler en Seine-et-Marne vivent pour moitié dans la métropole du Grand Paris (51 % d’entre eux, soit 52 684 actifs), 21 % viennent d’un autre département de grande couronne (soit 21 391 actifs) et 29 % vivent hors de la région (soit 29 685 actifs, dont 23 110 situés dans un département limitrophe à l’Île-de-France).
Carte 3 : Emplois occupés par des actifs habitant hors de Seine-et-Marne par bassin d'emploi en 2017
Les actifs venant de la métropole du Grand Paris sont les plus nombreux (en nombre et en proportion) dans les bassins d’emploi de Marne-la-Vallée (73 % des actifs venant de l’extérieur du département dans ce bassin, soit 33 017 actifs) et Grand Roissy-Le Bourget (52 %, soit 7 251 actifs occupés). Les actifs venant des autres départements de grande couronne sont plus nombreux dans les bassins d’emploi Porte Sud du Grand Paris (58 %, soit 6 594 actifs occupés) et Centre 77 (42 %, soit 3 758 actifs occupés). C’est dans les bassins d’emploi Sud 77 (75 %, 7 152 actifs), Brie-créçois (66 %, 1 603 actifs) et Est 77 (65 %, 3 780 actifs) que l’on retrouve les plus fortes proportions d’actifs venant de l’extérieur de l’Île-de-France. La proximité géographique entre le lieu de résidence des actifs navetteurs et les bassins d’emploi du département explique en partie ces différences.
Figure 2 : Lieu de résidence des actifs occupant un emploi en Seine-et-Marne et vivant hors du département par bassin d'emploi de travail en 2017
Entre 2012 et 2017, la Seine-et-Marne a accueilli 14 423 emplois supplémentaires (l’augmentation la plus importante d’Île-de-France derrière la Seine-Saint-Denis) alors que le nombre d’emplois a diminué dans les départements de grande couronne situés à l’ouest de l’Île-de-France (- 8 318 emplois dans les Yvelines et - 6 798 emplois dans le Val-d’Oise). Parmi ces emplois créés, 8 705 (60 %) sont occupés par des actifs vivant hors du département. Ce sont dans les bassins d’emploi situés à proximité de la métropole du Grand Paris que l’on observe la hausse la plus importante d’emplois occupés par des actifs ne résidant pas en Seine-et-Marne (+ 23 % à Porte Sud du Grand Paris). Bien que cette hausse s’observe avec moins d’acuité au centre, au sud et à l’est de la Seine-et-Marne, elle est tout de même de l’ordre de 9 % en moyenne dans ces bassins d’emploi.
En conclusion, ce rééquilibrage de l’emploi francilien observé grâce à l’exemple seine-et-marnais, avec une augmentation des flux de navetteurs entre la Seine-et-Marne et la métropole du Grand Paris dans un sens comme dans l’autre, illustre l’attractivité de la métropole parisienne, notamment dans les bassins d’emploi seine-et-marnais situés à proximité de la métropole et qui bénéficient de ses dynamiques. Ce glissement vers l’est et le sud de l’attractivité métropolitaine en termes d’emplois n’est pas la seule dynamique à l’œuvre en Seine-et-Marne. L’augmentation du nombre d’emplois s’observe également dans les bassins d’emplois du sud et de l’est du département. En outre, les actifs résidant dans des départements limitrophes à la Seine-et-Marne sont plus nombreux à s’y déplacer pour y travailler qu’auparavant. La baisse des emplois de l’ouest et du nord de la région francilienne corrélée à l’augmentation du nombre d’emplois à l’est et au sud va-t-elle s’accentuer, reconfigurant par la même occasion les mobilités professionnelles et résidentielles des habitants de la mégarégion ? Des dynamiques nouvelles qu’il sera judicieux de questionner en prenant en compte l’impact considérable de la pandémie de Covid-19 sur l’emploi francilien.
1 Voir les définitions des zones et bassins d’emploi : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/bassins-zones-demploi-de-vie-etc.
2 Selon l’Institut Paris Région : Les Bassins d’Emploi traduisent la volonté conjointe de l’État et de la Région de proposer une carte partagée pour la croissance et l’emploi en Ile-de-France. Ils ont pour objectif la rationalisation de l’intervention publique, le renforcement de la cohérence et de l’efficacité des politiques publiques. Ces périmètres géographiques en Bassins constituent notamment l’échelle de référence pertinente pour identifier les besoins en compétences au regard des enjeux économiques des territoires.
Bibliographie
Le Fillâtre Cécile, Pancarte Karl, « Un rayonnement économique de l’agglomération parisienne plus intense vers l’ouest », Insee Île-de-France, n° 98, paru le : 20/06/2019 https://www.insee.fr/fr/statistiques/4174858
Gascard Noël, Van Lu Anh, « L’influence de l’agglomération parisienne s’étend aux régions voisines », Insee Première, n° 1758, Paru le : 13/06/2019 https://www.insee.fr/fr/statistiques/4171583
Léon Olivier, « L’agglomération parisienne dans le Bassin parisien : une influence forte au nord et à l’ouest et plus modérée à l’est », Insee Analyses Île-de-France, n° 115, février 2020. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4311909
Milic Ludovic, Letort Antoine « L’Atlas, la Seine-et-Marne à la loupe », partie emploi-activité, pp : 89-104, octobre 2020, https://www.seine-et-marne.fr/fr/atlas-et-portrait-demographique-seine-et-marne
Sagot Mariette, « L'attractivité des franges de l'Île-de-France confirmée bien avant la crise sanitaire », Les Franciliens - Territoires et modes de vie, 04 mars 2021, https://www.institutparisregion.fr/societe-et-habitat/les-franciliens/lattractivite-des-franges-de-lÎle-de-France-confirmee-bien-avant-la-crise-sanitaire/