La mégarégion parisienne
Des dynamiques démographiques et économiques contrastées
29 avril 2021
En 2017, la mégarégion de Paris appréciée à l’échelle du Bassin parisien1 comptait environ 22,5 millions d’habitants et un peu plus de 9,5 millions d’emplois. Depuis 1982, date de départ de cette géorétrospective2, ce vaste territoire s’est accru de 2,9 millions d’habitants et de 1,2 million d’emplois, soit respectivement 29 et 27 % de la croissance démographique et économique nationale, pour un poids effectif au sein de l’espace français plutôt de l’ordre 36-37 % en 1982. La dynamique générale ainsi résumée n’aura pas été géographiquement homogène, loin de là, la polarisation dans les principales aires urbaines3 de la mégarégion l’emportant significativement, en particulier au bénéfice de la métropole parisienne4 puisque petite et grande couronnes ont capté à elles seules 70 % de la croissance démographique et 85 % de celle de l’emploi de la mégarégion, les grandes villes du Bassin parisien se situant à un niveau beaucoup plus modeste avec 16 % des gains observés.
Figure 1 : Variation du poids relatif des zones d'emploi de la mégarégion de Paris entre 1982 et 2017
Au-delà de ces données agrégées, il apparaît que le poids de chacune des composantes de la mégarégion a évolué de manière très différenciée sur le temps long comme le montre la figure 1. Celle-ci cartographie à la date de 2017 la part nationale exprimée en base 100 de chaque zone d’emploi, l’indice 100 correspondant au niveau de cette donnée en 1982 et chaque classe de la légende résultant du croisement de cet indice pour la population et l’emploi. On peut ainsi dégager des zones stables, des zones de renforcement et des zones de déclin, leur expression graphique et statistique étant celle d’une onde, avec un cœur du système métropolitain parisien en net repli (perte de près de 20 points de poids relatif), un maximum de diffusion en grande couronne de la métropole, surtout en ce qui concerne la croissance des emplois. Dans les franges (par exemple Beauvais, Montargis, Dreux), on observe une disjonction des dynamiques économique et démographique, signe que la « périmétropolisation » des populations n’est pas suivie par celle des emplois.
Les zones de renforcement correspondent donc essentiellement à l’aire métropolitaine parisienne d’une part et à l’axe ligérien d’Orléans à Tours étendu à la Sarthe, d’autre part. Les autres grandes villes de la mégarégion (hors cités ligériennes) sont par contre dans des situations dynamiques beaucoup plus différenciées : net renforcement pour Caen ; stabilité pour Rouen, Amiens et Reims ; repli ou déclin pour Troyes et Le Havre. La majorité des zones d’emploi de la mégarégion apparaît enfin en franc repli, les marges orientales et méridionales bordières des faibles densités françaises témoignant d’assez forts niveaux de déprise, tout comme les zones rurales interstitielles entre Loire et Manche.
Figure 2 : Trajectoires fonctionnelles des zones d'emploi de la mégarégion de Paris (1982-2017)
La figure 2 renseigne plus précisément sur le moteur apparent de ces dynamiques5 entre 1982 et 2017. L’approche fonctionnelle de l’emploi6 permet ainsi d’identifier une douzaine de trajectoires plus ou moins spécifiques par combinaison des évolutions les plus structurantes de la période : « désagricolisation » continue de l’emploi ; désindustrialisation ; mutation du système productif (sortie du fordisme-taylorisme) avec un essor marqué des fonctions péri-productives amont et aval ; progression constante et soutenue des fonctions présentielles et administratives ; métropolisation géographiquement ciblée, visible notamment dans la forte croissance de l’emploi cadre du péri-productif amont (devenant alors fonctions d’encadrement).
Ainsi, la métropolisation aura surtout concerné la métropole parisienne avec un déplacement d’une ampleur exceptionnelle de son emploi péri-productif amont vers des fonctions d’encadrement (très forte montée des qualifications). Trois autres villes seulement (Orléans, Tours et Caen) ont suivi une voie comparable, mais avec une métropolisation moins « qualifiante » (dynamique moindre des fonctions d’encadrement, développement du péri-productif amont, plus banal) et un relai de croissance porté par les fonctions administratives et surtout présentielles. D’autres grandes villes de la mégarégion (Reims, Amiens, Rouen, Le Mans)7 et certaines franges (Chartres, Compiègne, Vernon) esquissent une dynamique similaire mais avec un profil bien plus amorti. La différenciation des trajectoires vaut tout autant pour les franges, le Sud-Picard et le Sénonais par exemple se distinguant par le développement plus marqué du péri-productif aval (logistique notamment), signe d’une certaine modalité d’influence de la métropole parisienne, tandis que les périphéries orientales de l’aire urbaine de Paris, de Coulommiers à Montereau, se singularisent par une très franche désindustrialisation (classe 8). Enfin, le déclin des fonctions productives résume le chemin parcouru par le plus grand nombre des zones d’emploi, en écho aux tendances révélées par la figure 1, avec des combinaisons fonctionnelles souvent spécifiques : repli concomitant des fonctions agricoles et de production matérielle – essentiellement l’industrie – pour la classe 6 ; repli provenant essentiellement de l’agriculture (classe 3) ; déclin dû à certaines filières industrielles dominantes (classes 7 et 2)8, repli agricole plus que compensé par les fonctions présentielles et péri-productives aval (classe 9), etc.
Figure 3 : Taux de variation de l'emploi dû aux grandes fonctions économiques dans la mégarégion de Paris
La figure 3 montre enfin qu’au fil du temps la contribution du système productif aux dynamiques de l’emploi s’atténue (ralentissement du déclin agricole et de la désindustrialisation, stabilisation de l’emploi périproductif), ce qui place les fonctions d’encadrement – ou fonctions métropolitaines –, ainsi que les fonctions présentielles, en déterminants désormais « bi-polarisants » des trajectoires dynamiques, le pic de métropolisation de la métropole parisienne correspondant d’ailleurs aux années 1999-20079.
En conclusion, l’analyse des dynamiques de population et d’emplois révèle des logiques de développement inégal dans la mégarégion parisienne avec un renforcement économique et démographique de la grande couronne parisienne et de l’axe ligérien (et Caen), grâce notamment à la croissance des emplois d’encadrement. Cela contraste avec la déprise des périphéries dans lesquelles la perte d’emplois agricoles et productifs peine à être compensée, et où seules les grandes villes semblent résister, grâce à l’augmentation des fonctions présentielles et administratives.
1 Périmètre des régions Île-de-France, Normandie et Centre-Val-de-Loire ainsi que des anciennes régions Picardie, Champagne-Ardenne auxquelles s’ajoutent l’Yonne, la Nièvre et la Sarthe.
2 Cette date correspond à la fois à la disponibilité des données fonctionnelles sur l’emploi, au fondement de cette analyse, et au commencement du cycle de métropolisation qu’ont connu depuis une quarantaine d’années les principales villes françaises, parmi lesquelles l’aire urbaine de Paris. La métropolisation est envisagée ici à travers l’accroissement des activités du « tertiaire supérieur » au sens large dans les plus grandes villes.
3 Ces dernières, en dehors de Paris, sont désignées ici sous l’appellation de « grandes villes du Bassin parisien » et comptent 9 agglomérations : Rouen, Le Havre, Amiens, Reims, Troyes, Orléans, Tours, Le Mans et Caen.
4 Dans la suite de la fiche et dans les figures qu’elle propose, la métropole parisienne correspond aux zones d’emploi d’Île-de-France majoritairement couvertes par l’unité urbaine de Paris. L’aire métropolitaine associe à ce noyau l’ensemble des zones d’emploi limitrophes qui constituent ainsi les franges de la métropole. Cette dernière est elle-même subdivisée dans certaines des analyses entre un noyau correspondant à la ville de Paris, une petite couronne (zones d’emploi limitrophes auxquelles on a ajouté celle d’Orly) et une grande couronne formée du reste de la métropole. Les métropoles régionales citées en contrepoint de l’analyse correspondent aux 10 zones d’emploi des 10 premières métropoles régionales françaises classées selon la population de leur aire urbaine en 2017. La cartographie des zones d’emploi est celle de 1990 choisie pour permettre un recollement des données sur le temps long.
5 Il s’agit d’une classification ascendante hiérarchique de la variation de l’emploi due aux différentes fonctions, l’arborescence en 12 classes expliquant 73 % de la variance.
6 L’approche fonctionnelle de l’emploi a été esquissée dans les années 1990 par les travaux des géographes Félix Damette et Pierre Beckouche (1993) d’une part et par ceux de statisticiens de l’INSEE comme Philippe Jullien (1994) d’autre part. La méthode consiste à recoder l’emploi définit à travers les PCS (professions et catégories socioprofessionnelles) en grandes fonctions économiques. Les données qui sont issues de l’analyse fonctionnelle de l’emploi que propose l’INSEE ont été adaptées pour faire ressortir 5 fonctions : les fonctions d’encadrement (emploi cadre des fonctions dites métropolitaines – gestion, recherche, commerce inter-industriel, culture-loisirs, prestations intellectuelles) ; les fonctions péri-productives amont (emplois non cadres de ces mêmes fonctions hors culture-loisirs et commerce inter-industriel), Les fonctions péri-productives aval (entretien, logistique, commerce inter-industriel hors cadres), les fonctions présentielles (culture, éducation, santé, distribution, services de proximité, culture-loisirs hors cadres), les fonctions administratives (emploi public hors sphère présentielle), les fonctions agricoles (agriculture), les fonctions de production (industrie, construction).
7 Ces grandes villes composent essentiellement le type 4 où l’emploi public a été davantage moteur. A noter la position étonnante de Cherbourg dans ce groupe de villes, position due à la dynamique propre de l’industrie nucléaire sur la longue durée.
8 Bonneterie auboise, industrie du verre de la vallée de la Bresle, métallurgie de précision du Vimeu, etc.
9 +245 000 emplois métropolitains contre +225 000 entre 1982 et 1990, soit un tiers de la variation de l’emploi que la métropole parisienne aura connu en 35 ans pour ces fonctions d’encadrement et 28 % de cette même variation pour l’ensemble de la mégarégion, signe que les emplois métropolitains ont très peu diffusé géographiquement sur le temps long.
Bibliographie
Beckouche, P. et Damette, F. (1993), Une grille d’analyse globale de l’emploi. Le partage géographique du travail, Economie et statistiques, n° 270, 10-37
Berroir, S. et al. (2009)., Le fonctionnement métropolitain. Du Bassin parisien à la région économique de Paris, Paris, Diact, 2009.
Damette, F. Scheibling, J. (1992). Le Bassin parisien. Système productif et organisation urbaine, Paris, La Documentation française.
Gilli, F. (2005). Le Bassin parisien. Une région métropolitaine, Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], document 305, mis en ligne le 15 avril 2005, consulté le 19 janvier 2021. URL : http://journals.openedition.org/cybergeo/3257
Julien, P. (1994), « Les fonctions stratégiques dans cinquante villes de France», Insee Première , n° 300.
Thiard, P. (2001)., Les dynamiques spatiales du Bassin parisien (1975-1990). Un système spatial entre mutations du système productif et impact des politiques publiques, Thèse de doctorat de géographie, Université de Paris I.
Van Puymbroeck, C. et Reynard R., (2010), Répartition géographique des emplois. Les grandes villes concentrent les fonctions intellectuelles, de gestion et de décision, Insee Première, n° 1278.