Conséquences économiques du ruissellement et de l’érosion des sols en Seine-Maritime
Bilan rétrospectif et trajectoires d’évolution
6 mai 2021
Le département de Seine-Maritime est un territoire caractérisé par une très forte densité d’inondations par ruissellements et coulées de boues (Fig.1 ; Le Bissonnais et al., 2002 ; Douvinet & Delahaye, 2010) et par des taux d’érosion pouvant aller jusqu’à 10 t/ha/an (Cerdan et al., 2010). Ces particularités résultent d’une conjonction de nombreux paramètres (nature des sols, retournement des prairies, agrandissement des parcelles agricoles, etc.). Les modes de ruissellement qu’on rencontre dans ce département, tout comme dans le département de l’Eure, sont caractéristiques des bassins sédimentaires des régions tempérées. Ainsi, les constats réalisés dans ces départements peuvent être élargis à l’ensemble de la mégarégion. Dans les années 2000, des stratégies d’intervention publique ont été mises en oeuvre autour d’actions curatives et préventives. Après 20 années d’efforts, se pose la question de leur poursuite à l’identique ou de leur réorientation, car en parallèle, l’imperméabilisation des sols s’est accentuée tout comme le retournement des prairies. Une étude menée en Seine-Maritime (Patault et al., 2020) a permis d’établir un bilan rétrospectif des coûts induits par ces risques naturels, de définir des indicateurs économiques extrapolables à l’échelle de la mégarégion de Paris, et d’évaluer l’efficience économique de cette stratégie d’intervention publique.
Figure 1 : Risque érosion et ruissellement en Seine-Maritime
Sites d'études et méthodes
Différentes échelles spatio-temporelles ont été considérées dans les travaux présentés ici (Fig.2). À l’échelle du département de la Seine-Maritime (6 278 km²), des bases de données détenues par les principaux financeurs (Agence de l’Eau Seine-Normandie, Conseil Départemental de Seine-Maritime, Caisse Centrale de Réassurance) et les gestionnaires d’infrastructures (Direction Départementale des Routes, SNCF, Le Havre Seine-Métropole, ARS) ont été collectées et croisées afin d’évaluer le montant des investissements et des dommages induits par ces processus dans les dernières décennies. En parallèle, le croisement d’une base de données régionale recensant les ouvrages hydrauliques (BD Castor) avec les informations disponibles dans la littérature scientifique a permis d’évaluer le coût de l’entretien de ces ouvrages. À l’échelle d’un bassin versant pilote (la Lézarde, 212 km²), le ruissellement et l’érosion des sols ont été modélisés via deux outils complémentaires (le modèle Mike : aléa ruissellement sur les principaux talwegs (DHI, 2017) ; le modèle WaterSed : aléa ruissellement et érosion sur les versants et talwegs secs (Landemaine, 2020)) selon différents scénarios actuels et prospectifs (sans ou avec aménagements, changement climatique, retournement des prairies, amélioration des pratiques agricoles), et plusieurs épisodes pluviaux théoriques (décennale à centennale). Les résultats ont ensuite été intégrés dans une analyse coût-bénéfice (ACB).
Figure 2 : Cartographie de l’intensité de l’aléa annuel moyen de l’érosion des sols par petites régions agricoles à l’échelle de la mégarégion de Paris
Bilan économique rétrospectif
L’analyse des bases de données a permis d’évaluer le coût total de l’érosion et du ruissellement à 605 M€ en Seine-Maritime sur les périodes considérées (Fig.3). Entre 2000 et 2017, 2 699 projets ont été soutenus financièrement (332 M€). La majeure partie des financements (180 M€) a été allouée à la création d’ouvrages hydrauliques structurants pour réduire les impacts du ruissellement. 54 M€ ont été alloués à la protection de la ressource en eau. Le reste a été ventilé entre différentes actions telles que les études, l’accompagnement des acteurs via des structures dédiées, et la création d’ouvrages d’hydraulique douce. En parallèle, la création des ouvrages a nécessité un effort financier important pour leur entretien qui a été évalué à 69 M€. Enfin, sur la période 1992-2018, les dommages directs liés à l’érosion et au ruissellement ont été évalués à 204 M€ et les dommages aux bâtis représentent 96% de ce volume. Le coût des arrêts de distribution d’eau potable est significatif et s’élève à 3,8 M€. Les dommages liés aux infrastructures routières et ferroviaires s’élèvent à 4,5 M€ sur une période temporelle plus courte (2014-2020). Entre 1995 et 2017, le coût moyen du ruissellement et de l’érosion s’élève à 4 319 €/km²/an en Seine-Maritime où plus de 50 % du territoire est exposé à un aléa érosif très fort (Fig.2). A contrario, dans l’Eure, où l’aléa est faible dans une large partie du territoire, le coût moyen s’élève à 868 €/km²/an (Patault et al., 2021b). L’extrapolation de ces deux indicateurs, à l’échelle de la mégarégion de Paris (Fig.2 ; 140 000 km²) permet d’estimer un coût moyen annuel potentiel de l’érosion et du ruissellement compris entre 121 et 604 M€.
Figure 3 : Synthèse des dépenses publiques engagées par le ruissellement et l’érosion des sols en Seine-Maritime
Efficience économique et trajectoires d’évolutions futures
Selon les modélisations réalisées sur le bassin versant pilote de La Lézarde), les investissements réalisés entre 2000 et 2018 ont permis de réduire le dommage moyen annuel (DMA) de 5,8 à 3,7 M€2000. Cette stratégie s’est révélée économiquement efficiente avec une valeur actualisée nette (VAN = montant des bénéfices pour la société) évaluée à 15,7 M€2000 et un ratio B/C (bénéfice/coût = retour sur investissement pour chaque euro investi) évalué à 1,55. Mais dans les faits, les ouvrages les plus efficaces ont déjà été implémentés et cette stratégie perd en efficience quand elle est extrapolée dans un futur proche. En effet, selon les scénarios prospectifs établis (Fig.4), avec une augmentation extrêmement probable des intensités de précipitation à l’horizon 2050 (RCP4.5 et 8.5 ; Laignel & Nouaceur, 2018), l’efficacité et l’efficience des ouvrages existants s’améliorent, mais le montant des dommages résiduels (dommages aux bâti, stocks, équipements, curage et évacuation des sédiments) augmente par rapport à la situation actuelle. Pour compenser ces effets, l’adoption de pratiques agricoles favorisant l’infiltration de l’eau (+15 % sur 50 % des parcelles) est le moyen le plus efficace et réduit le DMA de 250 000 € par an à l’horizon 2050. Au contraire le retournement continu des prairies encore existantes (-33 %) augmente le DMA de plus de 400 000 € par an.
Figure 4 : Indicateurs synthétiques de l’analyse coût-bénéfice sur le bassin versant de la Lézarde pour les différents scénarios étudiés
Conclusion et perspectives
Les montants engagés en Seine-Maritime depuis vingt ans pour lutter contre les impacts de l’érosion et du ruissellement sont importants. La stratégie d’intervention publique adoptée en Seine-Maritime pour lutter contre ces phénomènes s’est révélée efficace et économiquement efficiente (Patault et al., 2021a). Toutefois, la dynamique d’imperméabilisation des sols et de retournement des prairies couplée au réchauffement climatique nécessite une réorientation de cette stratégie de lutte contre les impacts du ruissellement et de l’érosion. Les résultats du programme présentés ici confirment les pistes esquissées par Gaillard (2005) au milieu des années 2000, à savoir que les leviers d’action les plus efficaces pour réduire le ruissellement et l’érosion relèvent des systèmes de culture agricoles. L’enjeu des politiques est aujourd’hui d’accompagner l’adoption de pratiques agricoles favorisant l’infiltration de l’eau dans le sol tout en générant des revenus pour l’agriculteur sur l’espace de la mégarégion de Paris. Ces politiques peuvent se traduire par des actions de formation, de communication, et par un accompagnement financier et la création de débouchés pour valoriser les produits agricoles issus de ces systèmes.
Bibliographie
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