Les inondations dans le bassin amont de la Seine

Causes et conséquences à l’échelle de l’agglomération parisienne

*Université Paul Valéry Montpellier 3, **EPTB Seine-Grands Lacs
Publié le

30 juin 2021

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Les précipitations conséquentes et répétées expliquent les grandes crues hivernales de la Seine

Paris est localisée au centre d’un vaste bassin sédimentaire de presque 180 000 km², à l’aval immédiat de la confluence de la Seine et de la Marne et à l’amont de la confluence de la Seine et de l’Oise. Il n’est donc pas étonnant que, compte tenu de sa situation géographique, la capitale ait connu de nombreuses inondations. Parmi elles, 37 crues furent qualifiées de « majeures » depuis la grande crue de 1649, c’est-à-dire supérieure à 6 mètres au pont d’Austerlitz, soit une tous les 10 ans. De ces 37 crues, 16 sont considérées comme « exceptionnelles » car ayant dépassé les 7 mètres, dont trois dépassèrent même les 8 mètres (1658, 1740 et 1910). Nombre de ces événements furent directement liées à des épisodes hivernaux particulièrement rigoureux comme en attestent les exemples des crues de 1658, 1740 et 1910. La crue de 1658, survenue lors du Petit âge glaciaire, résulta, en ce sens, d’un hiver rigoureux caractérisé par d’importantes chutes de neige et une période de gel prolongé qui paralysa la Seine. La crue débuta ainsi avec le dégel du fleuve en février. L’inondation de décembre 1740, quant à elle, survint après un épisode particulièrement pluvieux. La crue de 1910 (8,62 m à Paris) commença, pour sa part, en janvier 1910 et provoqua d’importants dégâts perturbant l’économie et la vie des habitants des semaines durant.

La crue de 1910 (de retour 1/100 à Paris), fort bien documentée, est utile pour comprendre et mesurer la cinétique de ce type d’événement. En effet, bien connaître le passé permet de mieux se prémunir en cas de survenue d’un événement analogue. Il est, de la sorte, intéressant et utile de connaître les différents phénomènes qui concoururent à la réalisation de cette crue. Pour cet événement spécifique, les premiers facteurs sont identifiables dès l’année 1909, en particulier durant la saison chaude qui s’étala du 1er mai au 1er novembre. Ces fortes chaleurs s’accompagnèrent, tout au long de ces 7 mois, d’épisodes pluvieux répétés dans le bassin de la Seine. Ces pluies perdurèrent même au-delà, provoquant à Paris des crues de plus de 3 mètres au pont Austerlitz en fin d’année. Le débit des sources dans les calcaires fissurés augmenta également dans une forte proportion (Gallois, 1911). Au début de l’année 1910, la pluie fut remplacée par des épisodes de neige, de gel et de débordements des affluents de la Seine favorisant l’inondation de Paris du 18 janvier au 8 mars 1910 (45 jours). Le pic de crue fut enregistré le 28 janvier. Au total, 40 kilomètres de rues et 20 000 immeubles, dont plusieurs grands équipements, furent inondées dans 12 arrondissements. Paris, alors en mutation (construction du métro, exposition universelle…) mis des mois à s’en relever. Cette crue « historique » constitue ainsi toujours une référence pour la Seine de Paris à Rouen et dans d’autres vallées précédemment citées. Des crues plus récentes rappelèrent, néanmoins, aux Parisiens combien la capitale et sa banlieue étaient exposées à l’aléa inondation comme en janvier 1924 (7,32 m à Paris), janvier 1955 (7,12 m à Paris), janvier 1982 (6,18 m à Paris) et décembre 2018 (5,85 m à Paris). Les crues hivernales ne sont toutefois pas les seules à causer d’importants dommages.

Historique des crues exceptionnelles et majeures de la Seine depuis 1872

Figure 1 : Historique des crues exceptionnelles et majeures de la Seine depuis 1872

Les crues de printemps et les enseignements des inondations de juin 2016

En effet, plusieurs crues printanières et automnales égalèrent ou supplantèrent la crue centennale de 1910 sur le bassin amont de la Seine (Gache, 2013), plus particulièrement sur la Marne amont (octobre 1840, novembre 1944), moyenne (novembre 1924) et aval (mars 1784), l’Yonne amont et moyenne (mai 1836, septembre 1866), la haute Seine (mai 1836) et sur de très nombreux affluents de ces grands axes (Grand Morin, Armancon, Saulx, Ornain...). Après 30 ans sans crue sérieuse (depuis 1982), et plus d’un demi-siècle sans crue majeure, la crue de juin 2016 (6,1 m à Paris) rappela, à l’instar des grandes crues de juin et juillet 1613, 1693 et 1697 (supérieures à 7 m à Paris pour les deux dernières), la réalité de ces crues de saison chaude en Île-de-France. Elle obligea les pouvoirs publics à procéder à l’évacuation de 20 000 personnes sur le Loing et l’Yvette, axes où les crues furent exceptionnelles touchant plus de 25 000 propriétés.

Les enseignements tirés de l’évènement de 2016 – modeste au demeurant à Paris intra-muros et dans la partie la plus urbanisée de la métropole francilienne – est nécessaire pour prendre la mesure des crues de la Seine et de ses affluents. Ainsi, les inondations de printemps se révèlent être aussi problématiques que les crues d’hiver. Des travaux récents (Reghezza-Zitt, 2012) suggèrent par ailleurs qu’une crue identique à celle de 1910 causerait vraisemblablement plus de dégâts qu’à l’époque car la ville s’est depuis dilatée. En effet, en raison, d’une part, de l’augmentation du nombre d‘enjeux (équipements publics et commerciaux, logements, immeubles de bureaux...) dans les zones inondables en région parisienne et, d’autre part, de la forte dépendance au fonctionnement de réseaux urbains (électricité, voiries, transports en commun, hydrocarbure, chauffage urbain, eau potable, eaux usées, télécommunications...) eux-mêmes très exposés, une crue centennale pourrait engendrer jusqu’à 30 milliards d’euros (valeur 2013) de dommages et la perte de plus de 58 milliards d’euros de PIB à 5 ans (OCDE, 2014). A titre de comparaison, ce montant représente plus de 10 fois les estimations réactualisées des dommages de la crue de 1910 (OCDE, 2014).

Urbanisation en zone inondable à l'échelle de Paris et la petite couronne depuis 1800

Figure 2 : Urbanisation en zone inondable à l'échelle de Paris et la petite couronne depuis 1800

En parallèle de l’augmentation des enjeux construits en zone inondable, les pouvoirs publics édifièrent, entre 1949 et 1989, 4 lacs-réservoirs afin, premièrement, de réduire les conséquences des inondations et, deuxièmement, de soutenir les étiages (Villion, 1997). Ces ouvrages, dimensionnés pour faire face aux crues historiques du 20ème siècle, permettent de diminuer les débits de la Seine et de la Marne à l’amont de la région parisienne lors des crues. Dotés initialement d’une capacité de stockage estimée entre 810 et 850 millions de m3, ils verront cette dernière augmentée une fois l’ouvrage d’écrêtement dynamique des crues de La Bassée mis en service. Ce dispositif n’est cependant pas sans limites (DDE du Val de Marne, 2007) : le volume transité à Paris au-dessus de la cote d’alerte (3,20 m à l’échelle de Paris-Austerlitz) a été, par exemple, de l’ordre de 3 à 4 milliards de m3 pendant la crue de 1910…

Une agglomération parisienne plus vulnérable aujourd’hui qu’en 1910

Malgré la survenue d’événements catastrophiques par le passé, il apparaît à Paris, comme pour d’autres localités, que les catastrophes n’ont paradoxalement pas empêché l’urbanisation (Pigeon, 2012). En effet, en 2010, 37,2 % des espaces franciliens exposés au risque inondation étaient urbanisés (Faytre, 2010). Ce taux, calculé à l’échelle régionale, masque toutefois d’importantes disparités entre les territoires, notamment entre la Seine-et-Marne, majoritairement rurale, où « seules » 17 % des zones inondables sont urbanisées contre 62 % pour la petite couronne parisienne, beaucoup plus densément peuplée. Depuis, sur les rives de la Seine, de la Marne et de l’Oise, des dizaines de programmes sont sortis de terre et beaucoup sont encore en projet ou en chantier (à Vitry-sur-Seine, Villeneuve-Saint-Georges, Charenton...) sous l’impulsion d’aménageurs publics et privés qui ne ratifient pas nécessairement la charte pour l'aménagement de quartiers résilients aux inondations. Ce document, créé à la suite de la loi relative au Grand Paris de 2010, vient, en Île-de-France, théoriquement compléter les prescriptions réglementaires des plans de prévention du risque inondation (PPRI) qui s'imposent déjà aux constructions en zone inondable couverte par un PPRI.

Le caractère « systémique » du risque a par ailleurs été montré (Reghezza-Zitt, 2017). Une inondation de la Seine dans l’agglomération parisienne comparable à celle de janvier 1910 auraient des conséquences allant bien au-delà de la seule zone inondée physiquement. 4 à 5 millions de personnes seraient concernées à des degrés divers via l’interconnexion des réseaux assurant le fonctionnement de la métropole. Une grande majorité de ces infrastructures réticulaires sont enterrés et seraient impactées par la propagation de la nappe alluviale dans les sous-sols avant même les débordements en surface.

De nombreux bâtiments dont le caractère patrimonial est reconnu mondialement seraient eux aussi endommagés, le musée du Louvre et le musée d’Orsay devront mettre à l’abri leurs collections selon des dispositions adoptées en 2002 et constamment actualisées. Paris, ville touristique, souffrirait également de la perte de revenus issus de l’activité touristique, secteur qui représente 10 % du chiffre d’affaires de l’Île-de-France. Le territoire de certaines communes comme Alfortville et Gennevilliers seraient inondées à plus de 80 % cinq semaines durant avec, par endroits, des hauteurs d’eau supérieures à 2 mètres. Au-delà de l’exposition au risque inondation, une telle menace pose de sérieuses questions en termes de gestion de crise et plus spécifiquement de logistique : serait-il possible d’évacuer des dizaines, voire des centaines de milliers d’habitants ?

En outre, le projet du Grand Paris et des chantiers qui lui sont associés (prolongement et nouvelles lignes de métro, nouveaux quartiers en lieu et place de friches ferroviaires, hospitalières et industrielles...), ont mis en lumière le fait que de nombreux secteurs de première couronne sont moins bien protégés des crues que la commune de Paris. C’est en particulier le cas du Val de Marne où une partie importante du linéaire de la Marne et de la Seine est soit protégée par des murettes situées à la cote de la crue de 1924 (7,30 m), soit n’a aucune murette de protection comme au niveau de la commune de Villeneuve-Saint-Georges. Pour remédier à cela, la municipalité s‘est ici engagée depuis dix ans dans une politique de maîtrise foncière (acquisition-démolition) afin de mettre à l’abri les habitants des bords de l’Yerres, à la confluence de la Seine. Une trentaine de maisons ont, en ce sens, déjà été démolies. En parallèle de la construction ou du renforcement des ouvrages structurelles de défense, des solutions de gestion fondées sur la nature (SFN) voient le jour et mettent au jour de nouveaux partenariats entre les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l’État. Par exemple, l’établissement public d’aménagement Orly Rungis Amont (EPA Orsa) a été chargé, par le Préfet du Val-de-Marne sur proposition de la maire de Villeneuve-Saint-Georges, d’étudier la faisabilité d’une restauration de la plaine inondable de l’Yerres sur un périmètre élargi. L’élan général d’urbanisation, encouragé par le projet du Grand Paris, s’accompagne ainsi, et de manière relativement paradoxale, de processus de désurbanisation en certains points de la plaine alluviale francilienne de la Seine.

Inondation à Paris en 1910 dans le quartier de la Gare de Lyon (Anonyme)

Figure 3 : Inondation à Paris en 1910 dans le quartier de la Gare de Lyon (Anonyme)

Il apparaît, de la sorte, bon de souligner en conclusion que les inondations de la Seine et de ses affluents peuvent survenir toute l’année. Si celle de 1910 marqua les esprits, c’est bien la crue de 1924 qui motiva la construction des lacs-réservoirs et des murettes anti-crues. Ces ouvrages, si utiles qu’ils soient, ont néanmoins des limites dans une métropole de plus en plus vulnérable à une grande crue. Conscients des possibles conséquences dramatiques pour l’économie d’un scénario pareil à celui de 1910, les pouvoirs publics cherchent à améliorer les systèmes de prévision et d’alerte, à développer la culture du risque chez les opérateurs des réseaux stratégiques (transports en commun, énergie...), et, enfin, à mieux maîtriser l’urbanisation dans les zones inondable grâce à la prise en compte des risques dans la planification territoriale. Localement, des collectivités expérimentent des stratégies de désurbanisation. Les inondations de 2016 et 2018 ont rappelé aux acteurs en charge de l’urbanisme combien le chantier qui s’ouvre – à savoir celui du renouvellement urbain en zone inondable – est stratégique pour l’agglomération parisienne et plus largement la méga-région parisienne.

Bibliographie

Direction Départementale de l’Equipement du Val de Marne (2007) Plan de Prévention du Risque Inondation de la Marne et de la Seine dans le département du Val-de-Marne, Notice, 12 novembre 2007, https://www.data.gouv.fr/storage/f/2014-07-05T19-07-45/5e-ppri1.pdf

Direction Régionale et Interdépartementale de l’Environnement et de l’Énergie (2018) Charte d’engagement pour concevoir des quartiers résilients face au risque d’inondation, 7p. http://www.driee.ile-de-france.developpementdurable.gouv.fr/IMG/pdf/2018_03_12_charte_quartiers_resilients_v5_sign-2.pdf

Faytre, L. (2010) Zone inondable : des enjeux toujours plus importants en Ile-de-France, Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Ile-de-France, Note rapide, n°516, 6 p. https://www.iau-idf.fr/fileadmin/NewEtudes/Etude_735/NR_516_web.pdf

Gache, F. (2013) Crues paroxystiques du bassin de la Seine depuis 1780. A propos de la prééminence de la crue de janvier 1910 et des crues du 20ème siècle comme aléas de référence et des périodes d’hiver pour la survenue des grandes crue, La Houille blanche, n°3, pp.12-21. DOI: https://doi.org/10.1051/lhb/2013020

Gallois, L. (1911) Sur la crue de la Seine de janvier 1910. In: Annales de Géographie, t. 20, n°110, 1911. pp. 112-121. DOI : https://doi.org/10.3406/geo.1911.7364

OCDE (2014) La gestion des risques d’inondations : la Seine en Ile-de-France. Résumé exécutif, 27p. ttps://www.seinegrandslacs.fr/sites/default/files/media/downloads/gestion-du-risque-inondation-seine-resume-executif.pdf

Pigeon, P. (2012), Paradoxes de l’urbanisation. Pourquoi les catastrophes n’empêchent-elles pas l’urbanisation ?, Paris, L’Harmattan, 278 p.

Reghezza-Zitt, M. (2012), Paris coule-t-il ?, Paris, Fayard, 350 p.

Reghezza-Zitt, M. (2017). Penser la vulnérabilité dans un contexte de globalisation des risques grâce aux échelles spatiales et temporelles, Espace populations sociétés [En ligne], 2016/3 | 2016, DOI : https://doi.org/10.4000/eps.6641

Villion G. (1997) Rôle des lacs-réservoirs amont : les grands lacs de Seine, La Houille Blanche, 8, 51-56, DOI: 10.1051/lhb/1997078