Géorétrospective du risque technologique dans la mégarégion de Paris

Université de Rouen Normandie, UMR CNRS 6266 IDEES
Publié le

9 septembre 2021

Plus du tiers des sites industriels français les plus dangereux concentré sur seulement un quart du territoire métropolitain

La mégarégion1, au centre de laquelle se trouve l’Île-de-France, est située au carrefour des échanges européens et mondiaux du fait de sa façade maritime et des deux vallées fluviales qui la traversent. De cette situation, la mégarégion est structurée par de nombreuses grandes infrastructures portuaires, fluviales ou maritimes, qui ont historiquement favorisé l’implantation de certaines activités industrielles comme le raffinage, la pétrochimie, l’aéronautique ou encore les produits pharmaceutiques. Ces différentes activités sont centrales dans l’économie de plusieurs régions de la mégarégion, à l’instar de la Normandie (Marajda, 2016) et font peser, en contrepartie, de nombreux risques environnementaux et humains, dont les principaux sont liés à la production massive d’énergie et à la fabrication et aux stockages de produits chimiques. Outre ces activités industrielles, la mégarégion avec le Centre-Val-de-Loire par exemple valorise de manière intensive son potentiel agricole et agroalimentaire, faisant également peser de nombreux risques liés à l’utilisation et au stockage de produits phytosanitaires. Parmi l’ensemble des entreprises de ces secteurs économiques, ce sont les Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE) soumises à autorisation et/ou à enregistrement, dont les Seveso font parties, et les installations nucléaires qui sont les plus surveillées car susceptibles de provoquer des accidents dont les conséquences pour la santé et l’environnement seraient les plus dommageables.

La mégarégion accueille 26 % des 51 188 ICPE soumises à autorisation et/ou à enregistrement, dont 33 % des 1 328 sites Seveso, 42 % des 35 Installations Nucléaires de Base (INB) et 31 % des 16 Installations Nucléaires de Base Secrète (INBS) implantées en France métropolitaine sur seulement 26 % de ce territoire2. Comme l’illustre la figure 1, près d’un tiers des sites Seveso de la mégarégion se situent dans les départements de l’axe Seine, axe industriel majeur de l’économie nationale, entre Le Havre et Paris (Seine-Maritime, Eure, Val-d’Oise, Yvelines et Hauts-de-Seine). En ce qui concerne les installations nucléaires, la mégarégion abrite neuf centrales de production civile d’électricité, dont l’essentiel est localisé soit sur les rives de la Loire, soit sur le littoral de la Manche, et trois sites militaires.

Localisation des Installations Classées pour la Protection de l'Environnement (ICPE) et des infrastructures nucléaires dans la mégarégion de Paris

Figure 1 : Localisation des Installations Classées pour la Protection de l'Environnement (ICPE) et des infrastructures nucléaires dans la mégarégion de Paris

Plus de 3 000 accidents industriels répertoriés dans la mégarégion

La base de données Analyse, Recherche et Information sur les Accidents (ARIA) du Bureau d’Analyse des Risques et Pollutions Industriels (BARPI)3 recense 3 225 accidents dans la mégarégion entre 1794 et 2020, dont 17 se sont produits dans des centrales nucléaires. Bien que ce nombre d’accidents soit important, il convient de préciser que l’essentiel d’entre eux furent des événements mineurs comme en atteste leurs moyennes de l’échelle européenne des accidents industriels4 sur les matières dangereuses relâchées (0,34), les conséquences humaines et sociales (0,63) et les conséquences environnementales (0,41). Parmi ces 3 225 accidents, 47 % furent provoqués par un incendie, 42 % par le rejet de matières toxiques, 8 % par une explosion et 3 % par un aléa moins commun comme l’effondrement d’une cloison ou une perte d’alimentation électrique. La vallée de la Seine qui accueille un très grand nombre d’ICPE concentre également le plus grand nombre d’accidents (Figure 2). Les trois communes les plus touchées par des accidents sont Gonfreville-l’Orcher et Port-Jérôme-sur-Seine, dans la Seine-Maritime, avec respectivement 48 et 36 accidents et Genevilliers, dans les Hauts-de-Seine, avec 29 accidents. Cette corrélation statistique globale à l’échelle départementale (r = 0,64) qui voit le nombre d’accidents industriels augmenter avec le nombre d’ICPE et le nombre d’accidents industriels laisse malgré tout apparaître des situations particulières. Deux départements de la mégarégion, l’Aisne et les Ardennes n’ont connu, chacun, que 6 accidents industriels alors qu’ils accueillent respectivement 654 ICPE et 290 ICPE (dont 1 INB).

Accidents industriels survenus dans la mégarégion parisienne entre 1794 et 2020, par type d'effet

Figure 2 : Accidents industriels survenus dans la mégarégion parisienne entre 1794 et 2020, par type d'effet

Ces 3 225 accidents concernent 278 secteurs d’activités dont les 5 plus touchés à l’échelle de la mégarégion sont : entreposage et stockage (10 %), culture et élevage associés (5 %), traitement et revêtement des métaux (3 %), récupération des déchets triés (3 %) et le raffinage du pétrole (2 %). Ces données agrégées masquent des situations différentes selon les départements. Ainsi, 46 % des accidents industriels en Seine-Saint-Denis sont survenus sur des aires de stockage de produits, tous types confondus, tandis que les activités de culture et d’élevage sont les premières responsables d’accidents dans l’Orne avec 21 %. En Seine-Maritime, c’est le secteur du raffinage du pétrole qui est le plus accidentogène avec une responsabilité engagée pour 15 % des événements référencés. Du point de vue strictement humain, ces 3 225 accidents ont provoqué le décès direct de 1 211 personnes dont 1 000 sont à attribuer à l’explosion de la poudrerie de Grenelle survenue le 31 août 1794 à Paris. Cette catastrophe, reconnue comme le premier accident industriel français et le plus meurtrier de son histoire, est à l’origine de l’édiction, en 1810, de la première législation nationale visant à prévenir et réduire le risque technologique (Le Roux, 2011).

Des outils de prévention des risques et de gestion de crise qui se multiplient depuis 40 ans mais dont les effets en termes de diminution et de gravité des accidents semblent limités

Depuis, l’État, en partenariat avec l’Union européenne, a étoffé son arsenal législatif et territorial afin de réduire le nombre d’accidents technologiques et limiter leurs conséquences humaines et environnementales. Nombre des avancées réglementaires firent suite à la survenue de deux accidents majeurs, les catastrophes de Seveso survenue en 1976 et d’AZF survenue en 2001 (Suraud, 2019). La première donna lieu à l’édiction, en 1982, de la directive européenne Seveso qui impose, entre autres, aux services de l’État de recenser les établissements à risque et mettre en place des autorités compétentes pour leur inspection, charge actuellement assurée en France par les agents des Directions Régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL). Pour les établissements industriels, cette directive les oblige, en particulier, à produire une étude de danger nécessaire à la rédaction d’un Plan d’Opération Interne (POI), un outil de gestion de crise définissant les méthodes et moyens pour réagir en cas d’accident. La catastrophe d’AZF, quant à elle, conduisit à l’institution des Plans de Prévention des Risques Technologiques (PPRT) en 2003 et des Plans Particuliers d’Intervention (PPI) en 2004. Le PPRT est un outil d’atténuation et/ou d’anticipation des risques par la maîtrise de l’urbanisation autour de chacun des sites à hauts risques tandis que le PPI est un outil de gestion de crise. Ce dernier vient en complément des POI puisqu’il est activé, uniquement par les préfets de département, lors d’accident dépassant les capacités de réponse des exploitants touchés et/ou le périmètre de leurs enceintes (Fenet et Daudé, 2020).

Si les avancées majeures que représentent ces différents outils réglementaires n’ont eu que peu d’effets sur la diminution du nombre d’accidents, elles sont à relier avec la gravité de ces accidents technologiques qui diminue depuis la dernière décennie comme en atteste le tableau ci-contre5. Le nombre d’accidents reste en effet stable sur trois décennies au même titre que les moyennes des rejets de matières dangereuses et des conséquences humaines et sociales. En revanche, le nombre de personnes décédées lors de ces accidents ainsi que les conséquences en termes de pollution environnementale diminue sur la dernière décennie.

Comparaison du nombre et de la gravité des accidents industriels et agricoles survenus dans la mégarégion de Paris entre 1990 et 2020

Figure 3 : Comparaison du nombre et de la gravité des accidents industriels et agricoles survenus dans la mégarégion de Paris entre 1990 et 2020

Au-delà de ce constat quantitatif, la gravité moyenne des 3 015 accidents industriels ou agricoles survenues ces trente dernières années dans la mégarégion est, en moyenne, très faible. Pour autant, ces moyennes lissées sur de grands jeux de données ne doivent pas masquer le fait que la mégarégion a connu ces trente dernières années 45 accidents graves6, dont deux en 2019 qui marquèrent l’opinion publique, à savoir l’incendie de la station d’épuration d’Achères, dans les Yvelines, et l’incendie de Lubrizol et Normandie Logistique à Rouen, en Seine-Maritime. La figure 4 tend d’ailleurs à assoir la présomption que l’évolution réglementaire tend à diminuer l’impact environnementale des accidents industriels. En effet, 88 % des accidents graves survenus entre 1981 et 2000, soit 22 événements sur 25 référencés, entraînèrent de fortes pollutions contre 30 %, soit 6 événements sur 20 référencés, entre 2001 et 2020. Ces 28 accidents, dont le secteur agricole est responsable à hauteur de 30 %, se caractérisent par des rejets de matières toxiques dans les cours d’eau dont les conséquences pour la faune et la flore aquatique mais également pour les approvisionnements en eau potable se font ressentir sur des dizaines de kilomètres. L’explosion de la centrale thermique de Courbevoie (1994), dans les Hauts-de-Seine, illustre des effets dominos qui peuvent survenir lorsqu’un accident concerne une infrastructure stratégique. Cet accident, qui tua deux personnes et en blessa 59 autres, provoqua une coupure temporaire de chauffage et d’eau chaude pour 140 000 personnes et 2,2 millions de m² de bureaux ainsi que la perturbation de plusieurs réseaux informatiques ordinairement climatisés par la centrale (ARIA, 1994).

Les accidents industriels et agricoles graves survenus dans la mégarégion de Paris entre 1981 et 2020
Figure 4 : Les accidents industriels et agricoles graves survenus dans la mégarégion de Paris entre 1981 et 2020

En conclusion, la mégarégion parisienne est très fortement exposée au risque technologique avec plus du tiers des installations industrielles et agricoles françaises les plus dangereuses localisées en son sein. Ces dernières ont été reconnues responsables de plus de 3 000 accidents entre 1794 et 2020. Depuis ce premier accident, la législation n’a eu de cesse d’évoluer afin de permettre aux opérateurs privés de mieux maîtriser les risques inhérents à leurs actions. Or, si le risque de défaillance interne existe bel et bien comme le démontre l’incendie de Lubrizol en 2019, les causes externes en particulier naturels (foudre, inondation, vent…) peuvent également contribuer à l’exposition de ces installations. Or, la prévention et l’adaptation des ICPE à ce type de risque semblent accuser un certain retard (Pigeon, 2006), quand bien même le changement climatique va tendre à augmenter leur exposition.

1 Nous nous référons ici au périmètre retenu en 2000 par la Mission Interministérielle et Interrégionale d’Aménagement du Territoire (MIIAT) pour le Bassin parisien.

2 Les données sont issues pour les ICPE du portal Géorisques (https://www.georisques.gouv.fr/risques/installations/donnees#/), pour les INB du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire (https://www.ecologie.gouv.fr/installations-nucleaires-en-france) et pour les INBS de l’Autorité de Sûreté Nucléaire Défense (https://inis.iaea.org/collection/NCLCollectionStore/_Public/42/024/42024447.pdf?r=1&r=1).

3 https://www.aria.developpement-durable.gouv.fr/.

4 Officialisée en 1994 dans le cadre de la directive Seveso, l’échelle européenne des accidents industriels est destinée à mesurer, selon des critères précisément définis, les conséquences des accidents. Les quatre paramètres (matières dangereuses relâchées, conséquences humaines et sociales, conséquences environnementales et conséquences économiques) comprennent chacun six niveaux de gravité, 6 étant la note maximale.

5 Ce tableau ne prend en compte que les accidents industriels survenus dans la mégarégion durant les 30 dernières années. En effet, il semblerait que la base de données ARIA ne deviennent exhaustives qu’à partir des années 1990 puisque sur les 3 225 accidents retenus entre 1794 et 2020, 3 015, soit 93 %, eurent lieu entre 1990 et 2020.

6 Sont ici considérés comme accidents graves des événements ayant obtenu un niveau de 4 ou plus dans l’échelle européenne des accidents industriels pour les paramètres « Matières dangereuses relâchées », « Conséquences humaines et sociales » et « Conséquences environnementales ».

Bibliographie

ARIA, Explosion d’une chaudière dans une chaufferie urbaine le 30 mars 1994. Fiche n° 5132, Ministère chargé de l’environnement - DPPR / SEI / BARPI – AC070292. Date d’actualisation de la fiche : janvier 2008. https://www.aria.developpement-durable.gouv.fr/wp-content/files_mf/A5132_ips05132_002.pdf

DAUDÉ, Éric, 2020. Faut-il revoir la politique en matière de risques industriels ? Cahiers Français, décembre 2020, n° 418, 5 p., https://www.vie-publique.fr/catalogue/277577-les-nouveaux-rapports-au-travail

FENET, Justine et DAUDE, Eric, 2020. La population, grande oubliée des politiques de prévention et de gestion territoriales des risques industriels : le cas de l’agglomération rouennaise. In Cybergeo: European Journal of Geography, Travaux en ligne, doc. 932.

LE ROUX, Thomas. « Accidents industriels et régulation des risques : l'explosion de la poudrerie de Grenelle en 1794 », Revue d’histoire moderne & contemporaine, vol. 58-3, no. 3, 2011, pp. 34-62.

MARAJDA, Jérôme. « La Normandie, première région française pour la part de l’industrie dans le PIB », INSEE Analyses Normandie, no. 14, 2016. https://www.insee.fr/fr/statistiques/2128954#titre-bloc-6

PIGEON, Patrick (2006). « L’efficacité des politiques gérant les risques dits naturels en France : lecture géographique ». In LÉone F., Vinet F. (dir.), La Vulnérabilité des sociétés et des territoires face aux menaces naturelles. Analyses géographiques. Montpellier : Publications de l’université Paul-Valéry-Montpellier 3, coll. « Géorisques », vol. i, p. 28-33.

SURAUD, Marie-Gabrielle, 2019. La mise en œuvre d’un plan de prévention des risques technologiques : acceptabilité économique vs réduction des risques. In Natures Sciences Sociétés, Travaux en ligne, Vol. 27.