La protection contre les crues dans le bassin amont de la Seine
Du génie civil aux solutions fondées sur la nature
9 juillet 2021
Crues et étiages de la Seine constituent une préoccupation ancienne
À la suite des inondations de mai-juin 2016, le Premier ministre a adressé une lettre de mission au Préfet coordonnateur du bassin Seine Normandie, lui demandant d’élaborer un programme d’études sur le fonctionnement hydrologique du bassin de la Seine dans l’objectif de renforcer la prévention du risque d’inondation et de sécuriser le soutien d’étiage (Préfet d’Île-de-France, Agence de l’Eau Seine-Normandie, 2016). Cet objectif n’est pas propre au bassin versant de la Seine car de nombreuses régions européennes, en particulier celles du sud de la France, devront adapter leurs modalités de gestion quantitative de l’eau aux effets des évolutions climatiques et à la pression croissante des usagers.
Reste que les conséquences d’un étiage sévère, ponctuel comme ceux que le bassin a connu en 1921, 1949 et 1976, ou répétitif, pourrait compliquer davantage encore la gestion des usages, alors que la population augmente régulièrement en Île-de-France (moins de 5 millions d’habitants en 1900, 7 millions en 1950 et plus de 12 millions aujourd’hui). Les dernières projections disponibles suggèrent de surcroît une diminution des débits d’étiage de la Seine et de ses affluents de l’ordre de 30 % d’ici la fin du siècle et une baisse conséquente du niveau des nappes (RExHySS 2009, préfet d’Île-de-France, Agence de l’Eau Seine-Normandie, 2016). Celles de Brie, de Beauce et du plateau Picard font périodiquement l’objet de vives controverses entre les associations environnementales et les exploitants agricoles en raison des pressions constantes qu’exercent les cultures très consommatrices sur ces ressources souterraines, dont la qualité est par ailleurs menacée.
L’objectif affiché des pouvoirs publics n’est pas non plus nouveau. De nombreux projets, tels que ceux de Cosnier en 1611, de Deparcieux en 1740 ou de Picard en 1910, ont été successivement imaginés afin d’éviter de nouvelles crues et de favoriser la navigation en période de basses eaux (Pawlowki et Radoux, 1910).
La construction des lacs-réservoirs pour soutenir les étiages et lutter contre les crues
Figure 1 : Cliché photographique du lac-réservoir de la Seine (source : ETPB Seine-Grands Lacs)
En écho aux projets de dérivation du XIXème siècle et aux travaux de mise à l’abri des villes exigés par Napoléon III après la grande crue de mai 1856, la stratégie aménagiste des ingénieurs à la tête des services techniques des villes et des institutions chargées de l’aménagement des eaux a été centrée sur la maîtrise de l’aléa (Villion, 1997). La succession de crises hydrologiques graves notamment les inondations de janvier-mars 1910, janvier 1920 et janvier 1924, ainsi que l’une des pires sécheresses du 20ème siècle en 1921 ont incité les pouvoirs publics à régulariser les principales rivières du bassin de la Seine en amont de Paris. C’est en ce sens qu’un programme de construction de réservoirs fut décidée le 14 janvier 1926 par le ministère des Travaux publics pour atteindre une capacité de stockage d’un milliard de m³ (Villion, 1997). Ces ouvrages avaient pour objectifs l’écrêtement des crues et le soutien d’étiage.
Quatre lacs-réservoirs furent ainsi établis et mis en service entre 1950 et 1990 dans la vallée de l’Yonne et en dérivation des rivières Seine, Marne et Aube, dont la gestion est à la charge de l’Etablissement public territorial de bassin (EPTB) Seine Grands Lacs (Fig. 1 et 2). Avec ses quatre ouvrages, ce syndicat mixte dispose d’un stock maximal d’environ 810 millions de m³ permettant d’influencer le débit de la Seine jusqu’au barrage-écluse de Pose dans l’Eure, en amont de Rouen. Toutefois, pour un débit de Seine supérieur à 2 100 m³/s (crue 1/30 à Paris), soit à partir du seuil de 7,30 m, les ouvrages existants ne permettraient pas de maintenir les niveaux d’eau sous le seuil de surverse par-dessus les murettes situées dans le Val de Marne, les Hauts de Seine et la Seine-Saint-Denis. Seule Paris serait à ce seuil épargnée des débordements de Seine, puisque la partie supérieure des quais intra-muros est à la hauteur de la crue de janvier 1910, soit 8,62 m (2 400 m³/s).
Figure 2 : Localisation et capacité de stockage des grands lacs-réservoirs dans le bassin de la Seine amont
Aussi, pour compléter le système actuel de protection, différents scénarios d’aménagement à l’échelle du bassin de la Seine ont été étudiés depuis la crue de 1982. Il en résulte qu’il fallait intervenir sur l’Yonne car ce sous-bassin joue un rôle important dans la formation de la pointe des grandes crues qui se propagent jusqu’à Paris et conditionne l’importance des dommages. C’est donc dans ce secteur que les pouvoirs publics ont d’abord réalisé des études. Cependant, afin de ne pas ralentir la pointe de crue de l’Yonne qui passe avant la Seine à Paris, le secteur finalement retenu en 1995 est situé sur la Seine juste en amont de la confluence Seine-Yonne entre Bray-sur-Seine et Montereau-Fault-Yonne. Le rôle de cet ouvrage écrêteur sera de gagner les 40 à 50 cm supplémentaires sur la ligne d’eau en synergie avec les 4 lacs-réservoirs existants. Ces quelques dizaines de centimètres permettront pour un débit de 2 400 m³/s à Paris de rester en deçà du seuil de surverse par-dessus les murettes en petite couronne.
La capitale est mieux protégée des crues que la banlieue
En complément des 4 lacs-réservoirs, des protections locales ont été construites, à Paris intramuros après 1910, en première couronne sur le périmètre de l’ancien département de la Seine après la crue de 1924, puis le long de la Marne après la crue de 1970 en Seine Saint-Denis, et, enfin, dans certaines communes toujours le long de la Marne en Seine-et-Marne après la crue de 1983. Ces murettes anti-crues ont été édifiées de façon discontinue à l’échelle de l’agglomération.
Mais elles protègent inégalement les territoires lorsqu’elles sont présentes. La grande couronne est en effet, lorsque ces murettes sont présentes, au mieux, protégée contre les crues fréquentes (1/10) alors qu’une grande partie de la petite couronne l’est contre des crues plus importantes (1/30). Seule Paris intra-muros est protégée des crues de retour 1/100. Autrement dit, le seuil d’apparition des principaux dommages – évalué à environ 7,30 m à l’échelle de Paris-Austerlitz – correspond à la hauteur maximale des murettes localisées en petite Couronne, exception faite du sud du Val de Marne, du Nord-Ouest des Hauts-de-Seine et des secteurs de grande couronne comme l’Essonne et la Seine-et-Marne. C’est pourquoi ces secteurs ont été les plus inondés lors de la crue de Seine en mai-juin 2016, alors que le niveau à Paris n’a pas dépassé 6,10 m. Cette différence de niveau entre les murettes de la capitale et de sa banlieue s’explique par le simple fait que la banlieue concentrait moins d’enjeux en zone inondable en 1910 dans les vallées de la Seine et de la Marne qu’aujourd’hui. La décision de rehausser les quais à la hauteur de 8,62 m ne fut décidée, à cette époque, que pour Paris intra-muros.
Au reste, le rehaussement des quais jusqu’à la hauteur de 1924 (7,30) n’a été décidé que dans la partie hors Paris de l’ancien Département de la Seine, qui existait jusqu’à la réforme administrative de la région parisienne de 1964-1968. C’est la raison pour laquelle les murettes de protection ne sont présentes dans le Val de Marne qu’à partir de Choisy-le-Roi et s’interrompent à l’est de Gennevilliers, ce secteur marquant jadis la limite entre l’agglomération dense et une zone dédiée à l’agriculture et à l’industrie. Après les crues de Seine de 1970 (5,50 m), 1982 (6,20 m) et de 1983 (décennale) sur la Marne, quelques secteurs isolés de l’Essonne (Corbeil-Essonnes), de Seine-Saint-Denis (Bry-sur-Marne) et de Seine-et-Marne (Gournay, Champs-sur-Marne, Lagny-sur-Marne et Thorigny-sur-Marne) ont à leur tour été « protégés » par des dispositifs dont la hauteur n’a pas dépassé le maximum de ces faibles crues. Les murettes, pareils à des parapets dans l’agglomération, et les digues, la plupart sous la forme de levées de terre comme dans l’agglomération troyenne, ont eu tendance à séparer les habitants du fleuve. Ces protections ont aussi sans doute poussé les aménageurs à urbaniser « à l’abri » de ces ouvrages. D’autres cours d’eau comme l’Oise ont également été aménagés au début des années 2000, après les crues de 1993 et 1995, dans le but de limiter les conséquences fâcheuses des crues.
Le projet de la Bassée et l’optimisation de la gestion hydraulique des zones naturelles d’expansion des crues
En complément de l’action des 4 lacs-réservoirs et des protections locales, la gestion des inondations en région parisienne résulte aussi de grandes zones naturelles d’expansion de crue située à l’amont, dont les deux principales en termes de volume qui peuvent y transiter sont, d’une part, la Bassée, entre Nogent-sur-Seine et Montereau-Fault-Yonne, et, d’autre part, la Marne moyenne entre Vitry-le-François et Épernay. Si le secteur amont de la Bassée a relativement bien conservé son rôle dans la dynamique des crues de la Seine, il n’en est pas de même de la Bassée aval à cause des travaux de recalibrage du lit mineur et notamment la mise à grand gabarit de la Seine dans les années 1980. Dans ce secteur, le lit majeur qui était initialement inondable dès 150 m3/s n’y est plus inondable que pour des débits supérieurs à 400 m3/s environ, c’est à dire pour des crues relativement rares compte-tenu de l’action des lacs-réservoirs Seine et Aube situés en amont.
Dans ces conditions, les réflexions qui ont été menées sur ce tronçon depuis 1995 ont consisté à mixer un projet hydraulique de stockage de manière à augmenter (55 millions de m³) artificiellement ses fonctions d’espace d’expansion des crues, avec un projet local valorisant son potentiel écologique. Le principe de fonctionnement est le suivant : à la confluence Seine-Yonne, lors d’une crue significative de l’Yonne, le débit de la Seine est réduit dans la Bassée aval au moment du passage du pic de crue de l’Yonne par pompage et par stockage dans un ensemble de 9 casiers aménagés en lit majeur, de sorte que la crue de l’Yonne se superpose à un débit de Seine nettement plus faible1. À l’issue d’un long processus de concertation,de négociations et de controverses, cette solution –complémentaire à l’action des 4 lacs-réservoirs – permettra de réduire de façon significative le débit de pointe de la Seine en aval de la confluence Seine-Yonne et de limiter les niveaux de crue. La construction du site pilote (10 millions de m³) de ce dispositif a débuté en 2021 pour une mise en service prévue en 2024.
Le dispositif complet de la Bassée aval, situé aux portes de l’Île-de-France et de la zone fortement urbanisée, procède de la solidarité amont-rural et aval-urbain (Gilard,2017) et complétera efficacement le système actuel. En effet, l’effet cumulé des ouvrages existants et de l’aménagement de la Bassée aval permettrait, pour le débit de la crue de 1910 (2400 m³/s) de maintenir le niveau de la Seine en dessous du niveau maximum des murettes de protection (7,30 m) dans le Val de Marne et les Hauts-de-Seine, seuil à partir duquel le débordement dans la zone dense entrainerait un accroissement exponentiel des dommages à la santé, à l’économie, au patrimoine et à l’environnement.
Le projet de la Bassée vient clore une séquence d’aménagement décidée il y a presque un siècle. Désormais, parallèlement à l’action de ces ouvrages, pour continuer à agir sur l’aléa sans modifier l’effet dynamique des ouvrages, l’optimisation des zones naturelles d’expansion des crues est un chantier stratégique. Ces espaces de lit majeur, qu’ils soient naturels ou exploités pour l’agriculture, posséderaient un potentiel de stockage estimé à plus de 2 milliards de m³. Aussi, à l’initiative de l’EPTB Seine Grands Lacs, cinq syndicats mixtes constituent depuis 2019 des territoires tests sur le bassin amont de la Seine Marne amont, Seine amont, Yonne médian-Vanne, Loing amont et École pour la préservation et la restauration de ces milieux, et, secondairement, leur aménagement afin de maintenir ou améliorer leur rôle écrêteur (arasement d’obstacles à l’écoulement depuis le lit mineur vers le lit majeur, mise en place de surfaces d’intérêt écologique dans les corridors fluviaux, stockages d’eau pour l’agriculture...).
Ces mesures fondées sur la nature nécessitent un dialogue étroit avec les agriculteurs. Dans cette perspective, une convention a été signé en juin 2021 entre l’EPTB Seine Grands Lacs, les 5 syndicats mixtes tests et les Chambres d’agriculture du bassin de la Seine, pour que l’ensemble des acteurs et notamment la profession agricole soit associés étroitement à la gestion des zones d’expansion des crues. La péréquation financière, entre les zones urbaines très exposées aux inondations et qui disposent d’un fort potentiel fiscal, et les zones rurales qui accueilleront les projets, sera le gage d’une réelle solidarité entre villes et campagnes.
1 https://www.seinegrandslacs.fr/le-projet-global-damenagement
Bibliographie
Brun A. et Gache F. (2013) Risque inondation dans le Grand Paris : la résilience est-elle un concept opératoire ?, VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Regards / Terrain, DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.14339
Gilard, O. (2017). Chapitre 19 - Solidarités villes-campagnes dans la gestion territoriale des inondations. Dans : Patrick Caron éd., Des territoires vivants pour transformer le monde (pp. 121-126). Versailles, France: Éditions Quæ. https://doi.org/10.3917/quae.caron.2017.01.0121"
Ministère de la transition écologique (2016), APCA, MAAF. Prise en compte de l’activité agricole et des espaces naturels dans le cadre de la gestion des risques d’inondation. https://agriculture.gouv.fr/activite-agricole-prise-en-compte-dans-la-prevention-des-inondations
Ministère de la transition écologique, CEREMA (2017). Recommandations pour la prise en compte des fonctionnalités des milieux humides dans une approche intégrée de la prévention des inondations. https://www.adaptation-changement-climatique.fr/centre-ressources/guide-recommandations-pour-la-prise-en-compte-des-fonctionnalites-des-milieux
Pawlowski A. et Radoux A. (1910) Les crues de la Seine VIe-XXe siècle : causes, mécanisme, histoire, dangers, la lutte contre ce fléau, 1ère édition, Paris, France, Berger-Levrault et compagnie, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k64383527/f17.item.texteImage
Préfet d’Ile-de-France, Agence de l’Eau Seine-Normandie (2016) Rapport au Premier Ministre, Mission sur le fonctionnement hydrologique du bassin de la Seine, 148p. http://www.driee.ile-de-france.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_pm_hydrologie_seine_2016_vf-3.pdf
Rizzoli J.-L., Gache F., Durand P.-Y., Jost C. (2011) La prévention des inondations en Ile-de-France, vers une stratégie globale et partagée, La Houille Blanche, 2, 5-13 DOI: 10.1051/lhb/2011012
Villion G. (1997) Rôle des lacs-réservoirs amont : les grands lacs de Seine, La Houille Blanche, 8, 51-56, DOI: 10.1051/lhb/1997078