Les petites centralités dans les espaces de faible densité du Bassin Parisien
9 juillet 2021
Les découpages de l'INSEE en aires et unités urbaines catégorisent les communes selon les mobilités domicile-travail des actifs résidents de la commune et les discontinuités d'urbanisation. Ces découpages ont été critiqués, notamment parce qu'ils donnent l'illusion que l’espace périurbain1 est sous influence de la ville uniquement (Charmes, 2011; Bretagnolle, 2015), et ne donnent pas d'information sur les services et les équipements proposés. Or ces espaces sont divers : certaines communes périurbaines présentent des centralités, des services, des équipements ou encore des commerces qui permettent à leurs habitants et à ceux des communes aux alentours de peu fréquenter le pôle urbain défini par l’INSEE.
Nous proposons d'interroger la nature des équipements présents dans les communes considérées par l'INSEE comme périurbaines, multipolarisées et rurales, afin de montrer la diversité des centralités présentes dans la mégarégion du Bassin parisien2, caractérisée par la très grande étendue de la couronne périrubaine (carte 1). Nous nous appuyons pour cette analyse sur la base permanente des équipements de 2019, dans laquelle l'INSEE3 distingue 188 équipements différents, avec leur nombre par commune ou par IRIS. L’INSEE divise les équipements en trois gammes, selon leur rareté, tout en proposant certains regroupements4. Si plus de 15 % des communes françaises en sont dotées, il s’agit d’équipements de proximité ; si leur part est situé entre 5 et 15 % il s’agit d’équipements intermédiaires, et si elle est inférieure à 5 %, il s’agit d'équipements supérieurs.
Dans le Bassin parisien, les gammes d'équipements supérieurs sont le plus souvent présentes dans les communes appartenant aux unités urbaines, mais pas seulement
En nous appuyant sur les gammes d'équipements proposées par l'INSEE, nous distinguons quatre niveaux d'équipements5 présents dans des communes différenciées selon leur appartenance aux différentes unités urbaines, périurbaines, multipolarisées ou rurales6 (voir tableau 1 et cartes 1 et 2).
Carte 1 : Nature des communes du bassin parisien selon l'INSEE
Les communes qui comportent peu d'équipements sont celles qui disposent de moins de la moitié de l'ensemble des types d'équipements7 de proximité. Il s'agit le plus souvent de communes périurbaines (46 %), multipolarisées (37 %) ou rurales (14 %). Les habitants de ces communes doivent alors fréquenter d'autres communes pour y effectuer leurs achats ou pour accéder à des services.
Les communes aux équipements de proximité8 sont les communes qui comptent plus de la moitié des types d'équipements de proximité, mais moins de la moitié des types d'équipements intermédiaires ou supérieurs. La majorité de cette catégorie est constituée par des communes périurbaines (51 %) attachées à différentes unités urbaines, mais essentiellement de l'aire urbaine parisienne. Cela confirme que certaines communes périurbaines peuvent jouer un rôle de centralité à leur échelle, en pourvoyant des services, des commerces et des équipements.
Les communes aux équipements intermédiaires9 sont les communes qui comptent plus de la moitié des équipements intermédiaires mais moins de la moitié des équipements supérieurs. Ces communes sont également identifiées par l'INSEE comme des pôles de service de bassin de vie, c’est-à-dire « le plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès aux équipements et services les plus courants » (INSEE, 2012). Ces communes appartiennent essentiellement aux différentes unités urbaines (61 %), même si des communes périurbaines (23 %) ou rurales (8 %) entrent dans cette catégorie. Ainsi, le pôle de service d’Houdan, à la limite des Yvelines et de l'Eure-et-Loir et compris dans l’aire urbaine de Paris, joue le rôle de centralité attirant les habitants de son bassin de vie (Aragau, 2013).
Les communes aux équipements supérieurs10 sont les communes qui comptent plus de la moitié des équipements supérieurs. Elles appartiennent le plus souvent à l'unité urbaine : des villes centres du Bassin parisien (Paris, Honfleur, Rouen…) ou des communes de la petite couronne parisienne. Seulement treize de ces communes sont situées dans le périurbain11, et sont considérées comme des centralités d'importances dans le périurbain parisien (Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région d’Île-de-France, 2019). Quant aux communes multipolarisées du Bassin parisien, seule Clermont dans l'Oise possède plus de la moitié des équipements supérieurs.
Tableau 1 : Les gammes d'équipement selon la nature des communes du bassin parisien
Carte 2 : Les centralités du bassin parisien selon les équipements présents
Cartographier la répartition des gammes d'équipement sur le territoire du bassin parisien permet de réaliser combien les centralités sont réparties dans l'ensemble de ce territoire, et témoignent d'une certaine persistance des armatures urbaines héritées (voir Carte 1).
Tableau 2 : Seuil d'apparition des gammes d'équipement selon la population des communes du bassin parisien
Ces gammes d'équipements montrent, d'une part, la persistance de communes aux équipements de proximités voire aux équipements intermédiaires en dehors des grandes villes du bassin parisien, et surtout, dans les espaces périurbains. D'autre part, leurs seuils d'apparition et de généralisation (voir tableau 2) montrent que, si la taille des communes joue un effet, elle ne suffit à expliquer la présence des différentes gammes d'équipement : l'histoire compte, tout comme le volontarisme des élus et leur proximité aux autres centralités. Elles nous invitent également à regarder la répartition de ces équipements au sein d'une commune, car centralité n'équivaut pas toujours à urbanité, notamment quand les équipements sont regroupés dans un centre commercial, comme c’est parfois le cas dans des communes périurbaines ou périphériques de l'unité urbaine parisienne comme Fosses ou Gretz-Armainvilliers.
Dans les communes périurbaines, multipolarisées et rurales, quelle est la nature des commerces ?
Les commerces, et notamment ceux de proximité ont dans les premiers temps de la périurbanisation été « mis en sommeil » (Aragau, 2013), leurs commerces de proximité souffrant d’une décrépitude (Chemla, 1997 ; Metton et Soumagne, 2002) due au développement des centres commerciaux périphériques. Des recherches plus récentes montrent un fléchissement de cette dynamique. Claire Aragau constatait ainsi en 2007 la renaissance de certains commerces alimentaires en centre-bourg périurbain qui avaient jusque-là disparu (Aragau, 2007). Ainsi, en se focalisant sur l’Île-de-France, on peut noter l'existence de pôles commerciaux dans les espaces périurbains franciliens (carte 3).
Carte 3 : Diversité des commerces : nombre de types de commerces différents par commune de l'aire urbaine parisienne
Cette présence de centralités commerciales peut s'analyser au travers de la dimension des commerces, notamment de bouche, parce qu'ils font référence aux centralités européennes classiques et à une vision de la ville dense. En contribuant à l'animation de la ville, ils participent à donner une image opposée à celle de ville-dortoir (Charmes, 2017), contre laquelle luttent beaucoup d’élus. Alors que partout le déséquilibre de l’offre commerciale entre centres historiques et périphéries laisse craindre une désertion commerciale et la fin du petit commerce de « proximité » (Essers, 2020), leur objectif politique consiste alors à favoriser ou maintenir la présence de ces commerces, afin de conserver une certaine animation de « centre-ville » et redevenir des centralités (Fonticelli, 2020). Certains élus mettent ainsi en place des politiques pour encadrer la grande distribution et favoriser le maintien de ces commerces dans des zones peu denses, très différenciées selon les communes, notamment en lien avec les politiques alimentaires. C'est parfois un succès, comme à Houdan, commune périurbaine des Yvelines identifiée comme une centralité intermédiaire. La ville compte 54 commerces, dont beaucoup de bouche (3 boucheries, 5 boulangeries, une poissonnerie …) mais aussi une galerie d'art, 3 librairies et 8 magasins de vêtements, ce qui est considérable pour une commune périurbaine de 3 600 habitants. Cela s'explique notamment par une politique municipale de longue haleine menée pour favoriser le commerce local et empêcher l'implantation de grandes surfaces (Didier-Fèvre et al., 2014).
En conclusion, la taille seule des communes ne saurait expliquer l'implantation des équipements de proximité. Il convient de prendre en compte également l'histoire, le volontarisme des élus et probablement la proximité des autres centralités, ainsi que la nature des communes. Dès lors, si les données quantitatives nous donnent des éléments de réponse sur la permanence et le redéploiement de centralités, elles nous invitent également à analyser, localement, comment elles sont convoquées et sollicitées par les acteurs locaux et les habitants.
1 Tout au long de cette fiche, le périurbain sera entendu au sens de l’INSEE (2010) où il correspond aux communes de la couronne de l'aire urbaine.
2 Le Bassin Parisien est défini selon le périmètre MIIAT, c’est-à-dire comprenant la Haute et Basse Normandie, l'Île-de-France, la Picardie, la Champagne-Ardenne, le Centre, l'Yonne et la Sarthe.
3 Synthèse de plusieurs bases de données, cette base inventorie annuellement le niveau d’équipements et de services par commune. Les domaines couverts sont nombreux, des services aux commerces, en passant par l’éducation, la santé, les sports, les loisirs. Près de deux millions d’équipements répartis sur le territoire national sont ainsi recensés, disponibles par commune, ou bien par IRIS.
4 Certains équipements sont regroupés car ils correspondent à des fonctions similaires (par exemple : épicerie et supérette ; police et gendarmerie), quand d'autres ne sont pas pris en compte au motif qu'ils « fournissent leurs services davantage à une clientèle de passage qu'à la population résidente et/ou obéissent à des logiques d'implantation spécifiques », à l'instar des domaines skiables ou des centres équestres.
5 D'autres typologies existent, s'appuyant sur la BPE comme la typologie en centre d’équipements des communes de l’INRAE-CESAE, voir https://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr/niveau-de-centres-dequipements-et-de-services-des-communes.
6 Nous reprenons pour cela les nomenclatures issues de l'INSEE, 2010 (voir INSEE, 2011).
7 Nous nous intéressons à la diversité des équipements par commune, c’est à-dire non pas au nombre d’équipements en tant que tel mais aux différents types d’équipements selon les items définis par l’Insee.
8 La gamme de proximité comporte 28 équipements. Citons par exemple les bureaux de poste, Coiffure, Restaurant, Boulangerie, École élémentaire, Médecin généraliste, terrain de tennis, bibliothèque… pour la liste complète, voir https://www.insee.fr/fr/statistiques/3568650?sommaire=3568656.
9 La gamme intermédiaire comporte 36 équipements. Citons par exemple police et gendarmerie, école de conduite, vétérinaire, supermarché, librairie, école maternelle, collège, sage-femme…
10 La gamme supérieure comporte 47 équipements. Citons par exemple hypermarché, poissonnerie, lycée d'enseignement général et/ou technologique, gare, cinéma…
11 Ce sont Gisors, Chantilly, Crépy-en-Valois, Brie-Comte-Robert, Coulommiers, Fontainebleau, Meaux, Montereau-Fault-Yonne, Nemours, Rambouillet, Dourdan, Étampes et Beaumont-sur-Oise.
Bibliographie
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Didier-Fèvre, C., Poulot, M., Aragau, C., Berger, M., Rougé, L., Mettetal, L., Bouleau, M., Goff, T. L., Mangeney, C., Laruelle, N., & Darlay, A. (2014). Les territoires périurbains : De l’hybridation à l’intensité ? [Report]. PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture). https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01145733/document
Charmes Eric, 2011, La ville émiettée : essai sur la clubbisation de la vie urbaine, Presses universitaires de France. Paris.
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Chemla, G. (1997). Chronique d’une mort annoncée : L’évolution du commerce dans l’espace rural périurbain au sud d’Amiens. In R. Desse & A. Metton, Les nouveaux acteurs du commerce et leurs stratégies spatiales (p. 63‑85).
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