Le potentiel de l’intermodalité vélo-train dans la mégarégion parisienne

*Lisst-Cieu, Université Toulouse II, AREP (SNCF), **AREP
Publié le

28 juin 2021

Qu’il s'agisse de l’épisode de pandémie, des répercussions sociales de la crise des gilets jaunes, ou encore de la prégnance des considérations climatiques dans le débat public, le début des années 2020 apporte son lot d’incertitudes. Le fait métropolitain [Lefèvre C. & coll., 2013], qui avait la faveur des discours publics, s’est en quelque sorte distendu. L’attention se porte aujourd’hui sur le rural et le périurbain, devenus des lieux de refuge (climatique et sanitaire) tandis qu’une part importante des mobilités cycliques (pendularité, congés, loisirs…) n’a plus rien d’établi, tant dans leur intensité, leur modalité, que leur pérennité [Berger M., Orfeuil J.-P., 2016].

Quels types de mobilités peuvent aujourd’hui soutenir la cohésion de territoires et s’inscrire dans la nécessité d’une transition mobilitaire [Knafou R., 2000] apaisée et résiliente, tout en répondant aux enjeux climatiques et sociaux de la décennie à venir ? Tenant compte de ces réalités nouvelles et recomposées, cette fiche propose une analyse du potentiel intermodal vélo-train de la mégarégion parisienne [IAURIF & coll. 2009], assimilé dans cette étude au périmètre MIIAT (Haute et Basse Normandie, Île-de-France, Picardie, Champagne-Ardenne, Centre, Yonne et Sarthe).

Une situation ferroviaire structurée autour de l’Île-de-France

La mégarégion possède un maillage ferroviaire important, avec 974 gares (44 gares/millions d’hab., dont plus de 1/4 en Île-de-France), pour 17 460 km de voies, soit une densité d’environ 124 km de voies pour 1 000 km².

À titre de comparaison, les Länder de Bade-Wurtemberg, Bavière, Hesse et Thuringe forment ensemble un territoire comparable en termes de superficie (143 608 km²) à celui de la mégarégion parisienne (140 566 km²), quoi que plus peuplé (33 millions contre 22 millions). Si cet ensemble dispose d'un réseau de voies ferrées un peu moins dense (97 km/1 000 km²), ce dernier est beaucoup plus homogène, maillé, et compte plus de 2 500 gares (77 gares/millions d’hab.)1.

L’armature ferroviaire de la mégarégion est structurée en étoile autour de l'Île-de- France. Trois axes s'en détachent : un premier reliant Caen, Le Mans et Tours, puis Tours vers Nevers ; un second depuis la baie de Somme vers Amiens, puis Laon, en direction du Grand Reims et enfin Chaumont plus au sud ; un troisième, qui emprunte la ligne Le Havre-Rouen, se prolonge vers Amiens, puis Miraumont, en direction d’Arras.

S’il est difficile d’estimer l’offre ferroviaire actuelle dans le périmètre de la mégarégion, il est clair que celle-ci se concentre en Île-de-France ; avec 69 millions de train.km en 2017 [cf. Région de France, 2017, Chiffres clés sur la mobilité régionale], contre une quarantaine de millions de train.km pour le reste de cet espace2.

Des pistes cyclables concentrées en Île-de-France

D’après l’IGN, la mégarégion rassemble environ 682 000 km de voies routières. Si la majorité d’entre elles sont en principe cyclables3 (98 %), seuls 2 982 km (0,4 %) sont doublés par de véritables pistes dédiées à la pratique du vélo (site propre, séparé de la chaussée, supérieur à 200 m [IGN 2020]) offrant praticité et sécurité aux usagers, alors que la DRIEA Île-de-France comptabilisait 5 800 km de voies cyclables sur le territoire francilien en 2019.

On notera que 45 % de ces pistes se trouvent en Île-de-France et que de nouvelles pistes « tactiques » ont été déployées pendant la crise sanitaire (2020-2021). Si leur pérennité n’est pas encore actée, elles représentent environ 50 km dans Paris et plus d’une centaine de kilomètres supplémentaires en petite couronne [DRIEA, 2021].

Mesure de l’accessibilité vélo-train

Pour prendre la mesure du potentiel d’accessibilité vélo-train de la mégarégion, cette fiche s’est appuyée sur la modélisation géomatique d’une carte isochrone, en convoquant les ressources suivantes : IGN Admin Express 2020 (Communes), IGN BdTopoV3 2020 (Tronçons de route), open data SNCF 2020 (Référentiel des gares de voyageurs). L’hypothèse retenue est que : le cycliste, partant du point de géolocalisation de la gare, circule sur toutes voies (exception faite des autoroutes, bretelles d’accès, bac ou liaisons maritimes, escaliers) en tenant compte du sens de circulation, à une vitesse moyenne de 15 km/h.

Selon l’enquête sur la Mobilité des Français de 2019, un déplacement moyen à vélo dure 18 min [cf. Enquête mobilité 2019]. Pour le calcul de l’isochrone, cette hypothèse, arrondie à 20 min, est retenue pour l'intermodalité vélo-train. Un isochrone intermédiaire, de 10 min, a également été modélisé4. Ces résultats ont ensuite été croisés avec la densité de population 2015, issues des données carroyées 200 m de l’INSEE [FILOSOFI 2015]. Les données considérées ont été regroupées en 3 catégories : les carreaux en contact avec les isochrones 10 min, ceux à 20 min, et enfin ceux non connectés (donc à plus de 20 min).

Mesures de l’accessibilité pour une intermodalité vélo-train pour les habitants de la mégarégion parisienne

Tableau 1 : Mesures de l’accessibilité pour une intermodalité vélo-train pour les habitants de la mégarégion parisienne

Les résultats de cette modélisation (tableau 1 & carte 1) montrent que, sur les 21,8 millions d’habitants de la mégarégion en 2015, environ 12,2 millions (55 %) se trouvent à moins de 10 min à vélo d’une gare. Ce chiffre monte à 16,7 millions (77 %) avec un trajet inférieur à 20 min, et environ 5 millions de personnes (23 %) se trouvent au-delà de ce seuil. Cette accessibilité compte néanmoins de grandes disparités, puisque 73 % des habitants sont à moins de 10 min et 94 % à moins de 20 min en Île-de-France, contre respectivement 35 % et 54 % dans le reste de la mégarégion.

Accessibilité des habitants de la Mégarégion parisienne pour une intermodalité Vélo - Train

Carte 1 : Accessibilité des habitants de la Mégarégion parisienne pour une intermodalité Vélo - Train

Mesure du potentiel domicile/travail vélo-train

Il n'existe pas, à ce jour, de statistiques sur le niveau d'intermodalité vélo-train dans les déplacements domicile/travail (DDT) pour le territoire français. Pour estimer ce potentiel, cette modélisation s’est appuyée sur les données INSEE des Mobilités professionnelles 2017, en retenant uniquement les communes en contact avec l’isochrone 10 min5 précédemment calculé, et les déplacements dont le domicile et le travail se trouvent dans le périmètre MIIAT, et en excluant les 2,5 millions de DDT intracommunaux, plus adaptés à la marche ou au vélo. Sur les 9,3 millions de personnes domiciliées et travaillant au sein de la mégarégion, 5,6 millions (60 %) correspondent à ces critères. Nous avons classé les flux DDT en 4 catégories : une première catégorie de 0 à 8 km, où il est a priori préférable d’effectuer le trajet uniquement à vélo ; une deuxième de 8 à 33 km, ces trajets intermédiaires sont a priori trop longs pour du vélo seul (+ de 30 min), et trop courts pour privilégier une intermodalité vélo-train ; une troisième de 33 à 80 km, où la part du trajet en train est supérieure à 20 minutes, et la totalité du trajet (en intermodalité vélo-train) inférieure à 1h15. On notera que, dans l’Enquête mobilité des Français 2019 [Ibid.], les déplacements inférieurs à 80 km sont considérés comme locaux. (Cat.4) Enfin, de 80 à 524 km, les trajets supérieurs à 1h15 sont considérés comme plus exceptionnels, moins soutenables et/ou moins confortables pour le travailleur.

Notre hypothèse est que les trajets crédibles pour l’intermodalité vélo-train correspondent à la catégorie 3 : d‘une durée inférieure à 10 min pour réaliser un rabattement à vélo (à 15 km/h) vers et/ou depuis une gare, cumulée à une durée de train inférieure à 1h (à 80 km/h).

Mesures des potentiels intermodaux vélo-train dans l'accomplissement des DDT au sein de la mégarégion parisienne

Tableau 2 : Mesures des potentiels intermodaux vélo-train dans l'accomplissement des DDT au sein de la mégarégion parisienne

Il ressort de cette analyse (cf. tableau 2) que la majorité des trajets peut être réalisée à vélo seul (42 %) ou est trop courte pour envisager une intermodalité vélo-train (49 %). Seuls 7 % des trajets font partie de la catégorie 3 susceptibles d’avoir recours à une intermodalité vélo-train (cf. carte 2), dont les 3/4 se trouvent en Île-de-France.

DDT (33 - 80 km) intrarégionaux, pouvant potentiellement avoir recours à une intermodalité Vélo - Train

Carte 2 : DDT (33 - 80 km) intrarégionaux, pouvant potentiellement avoir recours à une intermodalité Vélo - Train

Conclusion

Au sein de la mégarégion, un réel potentiel développement de l’intermodalité vélo-train existe, notamment autour des métropoles régionales, dans la perspective de la généralisation des Services Express Métropolitain. Pour autant, si 9,3 millions d’actifs ont possiblement accès à une gare en vélo, moins de 400 000 d'entre eux ont actuellement intérêt à utiliser ce type d'intermodalité pour leur DDT ; la grande majorité (4,8 millions6) étant effectuée sur de très courtes distances, plus adaptées aux modes actifs.

Ces résultats montrent ainsi les limites d’une approche d’une transition mobilitaire qui ne serait fondée que sur l’accessibilité et l’offre. Sans renoncer à agir sur la localisation des bassins d’emploi et le développement des infrastructures [cf. Projet Bahn-Ville 1, Pretsch H. & coll., 2005, et Maulat J., 2016], le temps est sans doute venu de réfléchir de manière beaucoup plus fine, selon les échelles, les localités, la réalité des besoins et les aspirations mobilitaires des populations [Bassand M., Kaufmann V., 2000]. L'avenir des mobilités ne doit plus reposer sur l'optimisation des infrastructures seules, mais offrir « des bouquets de services de mobilité » [cf. Offner J.-M., 2020, Anachronismes urbains], dont l’intermodalité vélo-train serait une composante.

1 Sources : DB, SMTB, MILT, SNCF, IGN, INSEE.

2 Estimé sur la base d'un cumul régional, rapporté au nombre de départements concernés : Normandie + Centre Val de Loire + 1/5 Pays de la Loire + 1/7 Bourgogne-Franche-Comté + 4/10 Grand Est + 3/5 Hauts-de-France. [ART 2019]

3 Estimation tenant compte des critères repris dans les mesures de l’accessibilité vélo-train. (Cf. Infra)

4 Les auteurs ont conscience ces temps sont jusqu'à 2 fois supérieurs à d'autres études [Abours S. & al., 2015]. L'objectif est ici de mesurer un potentiel, de manière prospective, au regard de l'accélération que connaît la transition mobilitaire.

5 NB : En retenant 10 min depuis le domicile jusqu’à la gare de départ, et 10 min depuis la gare d’arrivée jusqu’au travail, on atteint le seuil des 20 min à vélo retenu précédemment.

6 2,5 millions de déplacements intracommunaux (Ibid) + 2,3 millions de déplacements extra-communaux <  8 km (voir tab. 3).

Bibliographie

Abours S., Midenet S., SOULAS C., 2015, Rapport final du projet VERT, Le vélo évalué en rabattement dans les territoires : Vol.2 IFSTTAR. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01239886

Bassand M., Kaufmann V., 2000, "Mobilité spatiale et processus de métropolisation : Quelles interactions ?", 127‐140 in : Les Territoires de la mobilité. Sciences sociales et sociétés. Paris cedex 14, Presses Universitaires de France.

Berger M., Orfeuil J.-P., 2016, Les périurbains de Paris : De la ville dense à la métropole éclatée ? Paris, CNRS Éditions.

Conti B., 2019, "Essai de caractérisation de la mobilité interurbaine en France : des pendulaires et pendularités hétérogènes ?", Flux, Vol.N°115, N°1, 14. http://www.cairn.info/revue-flux-2019-1-page-14.htm

DRIEA, 2021, "Pistes cyclables provisoires en Île-de-France : des cyclistes au rendez-vous des réalisations", http://www.driea.ile-de-france.developpement-durable.gouv.fr/pistes-cyclables-provisoires-en-ile-de-france-des-a5927.html

IAURIF, Bony L., CNRS, UMR Géographie-Cités., 2009, Capitalisation des savoirs sur le Bassin parisien. Analyse synthétique volume 2. Paris, IAU. https://www.institutparisregion.fr/fileadmin/NewEtudes/Etude_595/BP_volume2_01.pdf

Knafou R., 2000, "Les mobilités touristiques et de loisirs et le système global des mobilités", 85‑94 in : Les Territoires de la mobilité. Sciences sociales et sociétés. Paris, PUF. https://www.cairn.info/les-territoires-de-la-mobilite--9782130506447-p-85.htm

Lefèvre C., Roseau N., Vitale T., 2013, De la Ville à la Métropole. Les défis de la gouvernance. L’Oeil d’Or

Maulat J., 2016, "La desserte ferroviaire des territoires périurbains. Construire la ville autour des gares (Bruxelles/Milan/Paris/Washington), Anne Grillet-Aubert (dir.), Bénédicte Grosjean, Géry Leloutre, Paola Pucci, Colas Bazaud et Karen Bowie", Flux, Vol. N° 106, N°4, 101104. https://www.cairn.info/revue-flux-2016-4-page-101.htm

Pretsch H., Spieshofer A., Puccio B., Soulas C., Leclercq R., Bentayou G., 2005, Enseignements du projet Bahn.ville. Développement d’un urbanisme orienté vers le rail et intermodalité dans les régions urbaines allemandes et françaises. PREDIT 3 2002-2007. http://temis.documentation.developpement-durable.gouv.fr/docs/Temis/0073/Temis-0073594/15408.pdf