Les solutions fondées sur la nature
Défis et opportunités pour la mégarégion parisienne
8 juillet 2021
Cette publication a été réalisée dans le cadre du projet REGREEN, financé par le programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union Européenne, par le biais de la convention de subvention no.821016.
Historique et définition du concept de solutions fondées sur la nature
À partir des années 1990, l’écologie dite « fonctionnelle » (qui s’intéresse aux fonctions des écosystèmes) connaît un fort succès et contribue à l’intérêt contemporain pour la biodiversité. Ce succès est à l’origine d’un nouveau champ d’investigation mêlant sciences écologiques et économiques (Deléage, 1993), et de la popularisation du concept de « services écosystémiques », entendus comme les bénéfices que les sociétés humaines retirent du bon fonctionnement des écosystèmes (MEA, 2005). C’est dans ce contexte qu’apparaît dans les années 2000 le concept de solutions fondées sur la nature (SfN).
L’Union Internationale de Conservation de la Nature définit les solutions fondées sur la nature comme « les actions visant à protéger, gérer de manière durable et restaurer des écosystèmes naturels ou modifiés pour relever directement les défis de société de manière efficace et adaptative, tout en assurant le bien-être humain et en produisant des bénéfices pour la biodiversité » (UICN, 2016).
Ces défis et ces actions sont illustrées par l’exemple de la région Île-de-France, qui constitue un laboratoire intéressant pour déployer ces solutions, en raison des enjeux qu’elle concentre.
Les enjeux en Île-de-France
Les solutions fondées sur la nature peuvent être mobilisées dans le cadre de l’adaptation au changement climatique que subit déjà la mégarégion parisienne : vagues de froid ou de chaleur, crues, augmentation des précipitations hivernales, accentuation des sécheresses estivales... La fréquence et l’intensité de ces événements devraient s’accélérer d’ici la fin du siècle dans la mégarégion parisienne, où les phénomènes de minéralité des villes, d’urbanisation et d’homogénéisation et de simplification des paysages agricoles (IPCC, 2014 ; Jouzel, 2014) sont exacerbés .
Les SfN peuvent aussi être mobilisées pour reconquérir la biodiversité, diminuer la pollution de l’eau, des sols et de l’air, limiter les risques d’inondation, atténuer l’effet d’îlot de chaleur urbain ainsi que pour améliorer le cadre de vie et le bien-être en ville. Nombre de travaux montrent les liens positifs entre santé physique et psychologique (dépression, stress, anxiété, restauration psychologique, humeur, concentration) et la présence d’espaces de nature. Or ils sont fortement insuffisants dans la petite couronne francilienne, inférieurs au seuil des 10 m² par habitant recommandé par l’Organisation Mondiale de la Santé.
Concrètement, les projets de SfN protègent, créent, restaurent ou gèrent les propriétés et le fonctionnement d’écosystèmes (absorption d’eau par les sols et les plantes, évapotranspiration des végétaux, résilience de l’écosystème, etc.). Loin de simples opérations de verdissements ornementaux ou récréatifs (souvent accompagnées d’une gestion intensive en arrosage, énergie, intrant), les SfN s’appuient sur des connaissances scientifiques et des savoir-faire techniques en grande partie issus de l’ingénierie écologique. La reconquête de la biodiversité est à la fois un moyen et une finalité de leur mise en œuvre (parmi d’autres finalités : lutte contre les inondations, diminution de l’îlot de chaleur urbain, etc.). De plus, les SfN sont une alternative souvent moins onéreuse, plus efficace et résiliente, comparée aux infrastructures dites « grises » (ingénierie traditionnelle) (ARB îdF, 2015).
Quelques exemples de solutions fondées sur la nature
La carte ci-dessous (figure 1) localise de manière non exhaustive quelques types de solutions fondées sur la nature en Île-de-France et au-delà. Cette typologie est multi-dimensionnelle car elle prend en compte à la fois la nature de l’opération réalisée (création, restauration, gestion ou protection d’un écosystème), le milieu concerné (urbain, péri-urbain, agricole, forestier…), ou encore le ou les objectifs recherchés (prévenir les inondations, lutter contre les fortes chaleurs, dépolluer des sols…).
Figure 1 : Quelques exemples de solutions fondées sur la nature
La réouverture du Petit Rosne
À Sarcelles, le cours d’eau le Petit Rosne a longtemps été considéré comme un égout à ciel ouvert. Il avait été supprimé de la surface et enterré dans une canalisation , ce qui a eu pour effet d’accroître le ruissellement et les inondations au sein du centre-ville. Démolition de la dalle de béton, dé-canalisation de la rivière, création d’un nouveau lit et ensemencement des berges, furent autant d’étapes mises en place par le Syndicat Intercommunal pour l’Aménagement Hydraulique des vallées du Croult et du Petit Rosne (SIAH) pour redonner vie à la rivière. Aujourd’hui, elle procure de nombreux services écosystémiques aux riverains ainsi que des habitats favorables pour la faune et la flore.
Figure 2 : Le Petit Rosne dans le centre-ville de Sarcelles, avant et après les travaux de restauration
Reméandrage et renaturation de la Bièvre
En Essonne, l’urbanisation le long de la Bièvre avait transformé la rivière en un canal rectiligne, bitumé et entravé d’obstacles. Dans un objectif de réduire les risques d’inondations et de répondre aux réglementations européennes sur la gestion de l’eau, le syndicat intercommunal pour l'assainissement de la vallée de la Bièvre (SIAVB) a réalisé des travaux de restauration écologique conduisant au reméandrage et à la renaturation du cours d’eau. La rivière a également été reconnectée à sa zone humide, offrant un grand espace de stockage des eaux lors des épisodes orageux. Cette action exemplaire a permis de limiter considérablement les dégâts de la crue de mai 2016.
Les cours d’école OASIS
Le projet OASIS fait partie de la Stratégie de Résilience de la ville de Paris. Il a pour objectif de déminéraliser les cours d’école pour favoriser l’infiltration des eaux de pluie, de transformer les cours végétalisées en îlots de fraîcheur, et de permettre aux enfants d’être en contact avec la nature. L’école maternelle Emeriau, située dans le 15ème arrondissement, fut un des sites pilotes. Les élèves ont travaillé pendant 8 semaines pour réinventer leur cours de récréation. Après concertation entre les équipes pédagogiques et les services de la ville, le projet final comprend la création d’une rivière alimentée par les eaux pluviales et des jardins humides, l'installation de revêtements perméables, de nombreuses plantations (arbres, arbustes, plantes grimpantes), ainsi que de nouveaux espaces de jeux.
Quelques leviers pour développer les solutions fondées sur la nature
Que ce soit pour répondre à des réglementations environnementales, satisfaire une demande sociale de renaturation ou anticiper l’adaptation au changement climatique en optant pour des solutions plus vertueuses et moins coûteuses, les collectivités territoriales se montrent de plus en plus intéressées par la logique des SfN et envisagent de les développer au service de leur territoire (ARB îdF, 2019). Le paragraphe qui suit souligne les facteurs pouvant inciter les porteurs de projets à passer le cap (contexte réglementaire, aides financières, retours d’expérience et cadrage technique…) mais identifie aussi des freins existants au déploiement de SfN et qu’il faudrait encore lever.
Sur un plan réglementaire, l’Accord de Paris sur le climat approuvé en 2015 dessine un cadre propice aux SfN. Il précède le deuxième Plan national d’adaptation au changement climatique 2018-2022 et le plan Biodiversité (juillet 2018). Ce dernier a pour objectif (action 1.2) de « déployer les solutions fondées sur la nature pour des territoires résilients ». Ceci implique d’abord de réduire fortement le rythme d’artificialisation, ce qu’ambitionne l’objectif « zéro artificialisation nette » ou ZAN. Néanmoins, l’absence d’horizon temporel et chiffré de cet objectif rend son application encore abstraite. Une déclinaison des SfN comme de l’objectif ZAN pourrait se traduire prochainement dans les documents de planification et d’aménagement du territoire. La révision du schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF) et la mise en place d’un groupe régional d’experts sur le climat (GREC) en Île-de-France sont une occasion unique de promouvoir les SfN.
Du côté des financements, la commission européenne apporte des ressources via le dispositif Horizon 20201 (qui finance par exemple les projets Nature4cities ou Regreen2) ou des projets opérationnels via le programme LIFE (L’Instrument Financier pour l’Environnement). À ce titre, l'Office français de la biodiversité (OFB) pilote actuellement le projet européen ARTISAN3 (Accroître la Résilience des Territoires au changement climatique par l’Incitation aux solutions d’adaptation fondées sur la nature) (OFB, 2020). L’Agence de l’eau Seine Normandie finance de son côté des actions de protection et restauration de milieux aquatiques et de rivières, et des SfN visant à réduire le ruissellement et les pollutions diffuses (désimperméabilisation, renaturation, plantation de haies, création ou restauration de mares, ouvrages végétalisés...). Ses actions sont aussi préventives : réduire les pesticides, restaurer et entretenir les haies, désimperméabiliser les sols. La Région Île-de-France, à travers ses appels à projets, propose également le financement d’actions, bien qu’elles ne ciblent pas particulièrement les SfN. Les annonces issues de la Conférence régionale sur le climat (COP Région Île-de-France) devraient cibler davantage des projets de désimperméabilisation et de renaturation.
Pour aller plus loin, on peut également consulter la plateforme d’aide à la décision pour mettre en œuvre les SfN du CEREMA4.
L’ensemble de ces leviers représentent des réponses centrées autour des problématiques de gestion (gouvernance et aménagement des territoires), mais recourir aux SfN ne nécessite-il pas avant tout de connaître et comprendre la nature ?
L’éducation à la nature, un préalable aux solutions fondées sur la nature
Les auteur.trice.s considèrent qu’éduquer aux « solutions fondées sur la nature », c’est d’abord éduquer à ce qu’est la nature et à ce qu’elle représente. Il s’agit de dépasser la description des espèces emblématiques et s’attacher à comprendre le fonctionnement du monde vivant qui nous entoure et ses interactions permanentes (via les chaînes alimentaires, la compétition, collaboration ou symbiose). Percevoir la richesse du monde vivant et la diversité des rapports individuels et collectifs à ce vivant est la base fondatrice de tout projet de transformation sociale, que les solutions fondées sur la nature pourront ensuite outiller.
Pour y contribuer, le Muséum développe depuis près de 10 ans un dispositif de sciences participatives dédié aux scolaires qui vise à collecter des données utiles à la recherche scientifique sur la biodiversité et les impacts qu’elle subit à travers les activités humaines. Neuf protocoles, accessibles de la maternelle au lycée, permettent de découvrir la biodiversité dite ordinaire d’une cour d’école (oiseaux, plantes sauvages, vers de terre…). Les données collectées par les élèves sont déposées sur un site web dédié (vigienature-ecole.fr) et transmises aux chercheurs du Muséum. Un retour graphique immédiat permet aux élèves de comparer leurs observations à la moyenne nationale. Les élèves et les enseignants volontaires peuvent alors se baser sur cette évaluation de l’état de la biodiversité de leur établissement pour proposer des solutions fondées sur la nature adaptées.
1 Remplacé depuis cette année par le programme Horizon Europe.
2 Nature4cities : https://www.nature4cities.eu/le-projet, Regreen : https://www.arb-idf.fr/article/projet-europeen-regreen/
3 https://ofb.gouv.fr/le-projet-life-integre-artisan
4 https://www.cerema.fr/fr/actualites/plateforme-aide-decision-mettre-oeuvre-solutions-fondees
Bibliographie
ARB îdF, 2019, « Capitale française de la biodiversité. Climat : la nature source de solutions », Recueil d’actions exemplaires de collectivités françaises, 114 p. Disponible en ligne : https://www.arb-idf.fr/fileadmin/DataStorageKit/ARB/Publications/cfb2020-recueil-actions_4.pdf, consulté le 02/05/2021.
ARB îdF, 2015, Climat et biodiversité : les solutions fondées sur la nature, 34 p. Disponible en ligne : https://www.arb-idf.fr/nos-travaux/publications/climat-et-biodiversite-les-solutions-fondees-sur-la-nature-2015/ , consulté le 02/05/2021.
Deléage J.P., 1993, Histoire de l'écologie. Une science de l'homme et de la nature, Paris, La Découverte, 1991, 330 p.
IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change), 2014: Climate Change 2014: Impacts, Adaptation, and Vulnerability. Part A : Global and Sectoral Aspects. Contribution of Working Group II to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Field, C.B., V.R. Barros, D.J. Dokken, K.J. Mach, M.D. Mastrandrea, T.E. Bilir,M. Chatterjee, K.L. Ebi, Y.O. Estrada, R.C. Genova, B. Girma, E.S. Kissel, A.N. Levy,S. MacCracken, P.R. Mastrandrea, and L.L. White (eds.)]. Cambridge UniversityPress, Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA, 1132 pp.
MEA - Millennium Ecosystem Assessment, 2005, Ecosystems and Human Well-being: Synthesis, Island Press, Washington, DC, 137p.
Jouzel (Dir.), 2014, Le climat de la France au XXIe siècle. Scénarios régionalisés : édition 2014 pour la métropole et les régions d’outre-mer, volume 4, «2014 », MEDDE-MELTR, 64 p. Disponible sur : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/ONERC_Climat_France_XXI_Volume_4_VF.pdf, consulté le 06/05/2021
OFB, 2020, Note de cadrage : les solutions fondées sur la Nature pour l’adaptation aux changements climatiques, Projet Life intégré ARTISAN
UICN, 2016, « Motion 77 : Définition des Solutions fondées sur la Nature » in UICN France, 2018, Les Solutions fondées sur la Nature pour lutter contre les changements climatiques et réduire les risques naturels en France. Paris, 48p. Disponible en ligne : https://uicn.fr/wp-content/uploads/2018/06/brochure-sfn-mai2018-web-ok.pdf ( consulté le 02/05/2021).
Pour aller plus loin
CGDD, Puydarrieux Ph. et Beyou W., 2017 (Dir.), L’évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques. Cadre conceptuel, Collection Théma, 88p. Disponible en ligne : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Thema%20-%20Efese%20-%20Le%20cadre%20conceptuel.pdf
Couvet D. et Ducarme F., 2018, « Des solutions fondées sur la nature…et sur les citoyens ? », Sierre R. et Grisoni A. (Dir.), Transitions écologique et durabilité : politiques et acteurs, Campus Verlag, Frankfurt New York, pp. 251 – 266
ONERC, 2019, « Des Solutions fondées sur la Nature pour s’adapter au changement climatique », Rapport de l’ONERC au Premier ministre et au Parlement, La Documentation française, Paris, 306p. Disponible en ligne : https://www.arb-idf.fr/fileadmin/DataStorageKit/ARB/Articles/Articles-PDF/onerc_rapport_2019_SfN_web.pdf
UICN, 2019, Nature-based Solutions for Climate Change Adaptation & Disaster Risk Reduction, 23p. Disponible en ligne : https://uicn.fr/wp-content/uploads/2019/07/uicn-g20-light.pdf