Le système universitaire de la mégarégion parisienne

Des établissements de plus en plus différenciés

Université Paris-Est Créteil, EA 7374, Lab’Urba
Publié le

1 juin 2021

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Le système universitaire de la mégarégion parisienne s’inscrit dans le territoire des nouvelles académies (Amiens, Reims, Orléans-Tours, Rouen, Créteil, Versailles) formées dans les années 1960 autour de Paris, dans le but de contenir, par création de nouvelles universités, les flux d'étudiants vers la capitale (Baron et Berroir, 2007). À l’exception de l’université de Caen, qui date de 1432, et bien sûr de la Sorbonne, toutes les universités de la mégarégion sont en effet des établissements jeunes et on peut renvoyer leur formation à 4 origines successives :

  • De la fin des années 1960 au début des années 1970, cinq universités de plein exercice sont créées dans la couronne du Bassin parisien (Reims, Amiens, Rouen, Orléans, Tours) et seront ensuite complétées par celles du Mans et du Havre au tournant des années 1980 ;
  • À la même époque, sont formés les nouveaux établissements de Paris et de sa banlieue, issus cette fois de l’éclatement de l’université de Paris dont les antennes, telles que la faculté des lettres de Nanterre ou la faculté des sciences d’Orsay par exemple, furent les premiers jalons préfigurateurs ;
  • En 1972, a lieu la création de la première université technologique française à Compiègne, dans le cadre de la politique d’aménagement du Bassin parisien de la période gaullienne, ce modèle d’établissement ayant ensuite essaimé à Troyes en 1993 ;
  • Au début des années 1990, le plan Universités 2000 conduit à la création des quatre universités des villes nouvelles1, ainsi que d’antennes ou de départements d’IUT (instituts universitaires de technologie) dans les interstices du maillage initial (Aube, Eure-et-Loir, Cher, Oise…).

Ce tissu universitaire formé de manière progressive, essentiellement suite à la loi Faure2, est en grande partie une réponse aux cycles de massification de l’enseignement supérieur que la France a connus depuis une cinquantaine d’années. Et cette massification progressive continue de faire sentir ses effets au travers de la vocation particulière qu’ont les établissements universitaires – ainsi que leurs territoires d’implantation – dans l’accueil des étudiants de premier cycle.

Indicateurs de caractérisation des étudiants inscrits en 2020 dans les formations universitaires des départements de la mégarégion de Paris via Parcoursup

Tableau 1 : Indicateurs de caractérisation des étudiants inscrits en 2020 dans les formations universitaires des départements de la mégarégion de Paris via Parcoursup

C’est ce que montre en particulier le tableau 1 qui synthétise plusieurs indicateurs descriptifs des flux d’accès à l’enseignement supérieur, suite à la mise en place en 2017 de la plate-forme Parcoursup. Il en ressort tout d’abord un contraste entre l’Île-de-France et le reste de la mégarégion, celui-ci étant particulièrement perceptible dans la pression à l’entrée des formations et dans le taux de remplissage de ces dernières, moins élevés hors académies franciliennes3, à l’exception cependant des départements de la Somme et de l’Indre-et-Loire. Les niveaux de remplissage élevés du premier tiennent pour l’essentiel à une moindre propension à la mobilité de populations étudiantes d’origine plutôt modeste – ce que confirme le taux de boursiers. S’agissant du second, ce même indicateur est plutôt le signe d’une bonne adéquation entre offre et demande, ce que laisse également entrevoir une attractivité « extra-locale » plus élevée et un plus fort taux de bacs généraux.
En second lieu, on voit que Paris, petite couronne et grande couronne parisiennes impriment à la dynamique des flux certains de leurs marqueurs socio-économiques, comme en témoignent les plus forts taux de boursiers et de bacs technologiques ou professionnels à l’Est, en Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne – surtout pour les boursiers s’agissant de ce département –, mais aussi au Nord de la capitale, avec un profil de recrutement du Val-d’Oise très marqué par le caractère populaire des populations de l’Est de ce département.
Ensuite, les universités de villes nouvelles se distinguent plus particulièrement au sein du système par le rôle prépondérant qu’elles jouent dans le captage des flux au sein de leur académie respective, l’endorecrutement y dépassant partout les 60 % avec un remplissage effectif dès la phase principale d’inscription, ce qui révèle le rôle essentiel de ces établissements dans l’accès à l’enseignement supérieur. Au contraire, les universités de petite couronne connaissent un brassage plus important avec des apports significatifs (de l’ordre de 25 %) d’étudiants en provenance d’autres académies de la Région, ce qui les soumet à une pression concurrentielle plus forte en premier cycle. De ce point de vue, les universités parisiennes se distinguent par un profil particulier d’attraction avec à la fois 44 % de leur effectif qui ne vient pas d’Île-de-France et seulement 17 % d’étudiants parisiens, signe du niveau élevé des apports en provenance des académies de Créteil et de Versailles, cet important brassage indiquant aussi une réelle sélectivité des formations, sélectivité confirmée par le taux de bacheliers avec mention (18 %).
Enfin, on pourra noter le profil de recrutement parfois très singulier de certains territoires universitaires interstitiels de la mégarégion : ainsi du département de l’Aube qui accueille à la fois une antenne de l’université de Reims, un IUT – composante de cette même université – et une université de technologie, ce qui se traduit à la fois par un rôle majeur dans la démocratisation de l’enseignement supérieur (fort taux de boursiers et de bacheliers non généraux) et par une capacité d’attraction extra-régionale forte, essentiellement due à l’université de technologie de Troyes.

Ces vocations singulières des territoires universitaires de la mégarégion dessinées par les flux d’étudiants en premier cycle sont le premier indice d’une différenciation croissante des établissements de formation supérieure, ce mouvement n’étant d’ailleurs pas propre à la mégarégion de Paris. La carte 1 et le tableau 2 proposent d’éclairer ce phénomène à travers une typologie des universités par classification ascendante hiérarchique mixant à la fois des indicateurs4 de caractérisation du modèle économique des établissements et des données relatives à leur orientation disciplinaire, scientifique et pédagogique. Le parti-pris a été ici de prendre en compte, outre les activités de formation saisies à travers le profil des étudiants (origine géographique, poids des inscrits en filières professionnelles…), celles qui découlent de l’activité scientifique (productivité de la recherche mesurée par le nombre de publications rapporté à l’emploi scientifique, financements du PIA – programme d’investissement d’avenir – en soutien de ce type d’activité) et celles qui résultent des partenariats que les universités construisent autour de leurs missions d’enseignement et de recherche (part des ressources propres, de l’activité contractuelle et des subventions régionales dans leur fonctionnement). Ces indicateurs ont naturellement leurs limites qu’on abordera un peu plus loin et qui pour certaines sont rappelées en légende du tableau 2. Ils ont néanmoins le mérite de proposer une lecture transversale des missions universitaires et de faire ressortir certains des critères qui contribuent à la différenciation voire à l’individuation des établissements.

Typologie par classification ascendante hiérarchique des universités de la mégarégion de Paris en 2018-2019

Carte 1 : Typologie par classification ascendante hiérarchique des universités de la mégarégion de Paris en 2018-2019

Profil statistique moyen de chaque classe de la typologie des universités de la mégarégion obtenue par classification ascendante hiérarchique

Tableau 2 : Profil statistique moyen de chaque classe de la typologie des universités de la mégarégion obtenue par classification ascendante hiérarchique

L’orientation disciplinaire dominante ou prépondérante est, en première instance, le principal facteur de différenciation des universités, corrélé avec plusieurs autres indicateurs tels que la dotation ministérielle, le niveau des publications ou le poids des crédits du PIA5. Se trouve d’ailleurs ainsi confirmée la pertinence des catégories usuelles mobilisées par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche6, les universités dites tertiaires (type 3) et les universités de technologie (type 1) se distinguant ici le plus spécifiquement. La classification fait apparaître ensuite la relative convergence de profil des universités « fauriennes » – la plupart pluridisciplinaires avec santé – créées dans les années 1970, tant en petite couronne parisienne que dans le reste du Bassin parisien, avec néanmoins deux nuances : un sous-groupe qui se signale par son fort degré d’accompagnement par les collectivités régionales (type 2) et un autre aux formations de premier cycle sensiblement plus professionnalisées (type 9), au sein duquel ces établissements cohabitent d’ailleurs avec la plupart des universités des villes nouvelles. Ce sont toutefois Le Mans et Le Havre qui présentent le plus fort degré de professionnalisation en premier cycle avec en outre une activité contractuelle très soutenue en recherche qui signale un fort ancrage socio-économique local. Un autre fait notoire réside enfin dans l’émergence d’universités de recherche (types 4 et 5)7, fortement appuyées par le PIA, ce modèle d’université étant probablement aujourd’hui le plus médiatisé à travers les classements internationaux du type de celui de Shangaï.
Mais cette typologie est aussi révélatrice de logiques d’individuation (types 5 et 7), signe que la trajectoire propre à chaque établissement rend les organisations universitaires – comme d’autres – irréductibles aux catégorisations trop tranchées, le référencement à des modèles nécessitant de multiples précautions. L’université Paris Dauphine se remarque ainsi par un poids important des ressources propres qui montrerait, sur la base de données plus détaillées, d’importantes recettes de formation continue. Et Paris Sud, plus encore, se distingue par plusieurs traits, assez insolites, qui montrent aussi la limite des indicateurs choisis et du périmètre de leur collecte. En effet, si les marqueurs d’intensivité de la recherche sont réels (publications), le poids excessivement modeste des doctorants et plutôt élevé des inscrits en premier cycle ne se comprend qu’en rappelant l’appartenance de cette université à la Comue (Communauté d’universités et d’établissements) Paris Saclay8 où sont inscrits la plupart des 2nd et 3ème cycles du groupement. Ce biais de mesure observable pour d’autres établissements comme signalé dans le tableau 2 confirme que l’autonomie des universités, effective depuis la loi LRU – Libertés et responsabilités des universités – de 2007, et que l’incitation qui leur est faite de s’inscrire dans des stratégies partenariales (constitution des PRES – pôles de recherche et d’enseignement supérieur –, puis de COMUE ; appels à projets du PIA) justifie désormais une approche beaucoup plus systémique des opérateurs et de leurs activités. C’est en effet le plus souvent à cette échelle que s’objectivent certaines des logiques d’individuation des opérateurs, logiques que d’autres données que celles retenues permettraient certainement de mettre en évidence pour ceux des établissements que nous avons désignés ici sous l’appellation d’universités fauriennes.

En conclusion, les établissements universitaires de la mégarégion ne font pas système malgré des déterminants communs à leur formation au cours de la seconde moitié du 20ème siècle, leur trajectoire de différenciation voire d’individuation progressive à partir du modèle de l’université faurienne renvoyant plutôt aux choix stratégiques qu’ils ont opérés au cours du temps. Certes, les flux étudiants de premier cycle et les enjeux propres à la constitution d’universités de recherche intensive, aux activités très imbriquées avec celles des organismes nationaux de recherche, dessinent des logiques fonctionnelles et spatiales de type centre-périphérie objectivables par certains indicateurs. Mais ces enjeux particuliers ne sauraient épuiser l’ensemble du rôle économique, social et sociétal que remplissent aujourd’hui les universités de la mégarégion de Paris dans la diversité de leurs profils, différenciation et individuation de ces organisations étant désormais le fait dominant.

1 Universités d’Évry, de Cergy-Pontoise, de Marne-la-Vallée, de Versailles Saint-Quentin.

2 La loi Faure ou loi d’orientation de l’enseignement supérieur de 1968 a donné naissance à un modèle d’universités, les universités parfois appelées « fauriennes » qui sont par nature pluridisciplinaires et se sont initialement structurées à partir des composantes de formation et de recherche dont elles ont opéré l’agrégation (Guiselin, 2018).

3 Le maximum atteint en Seine-Saint-Denis confirme d’ailleurs toute la permanence de l’enjeu de démocratisation des formations supérieures dans notre société.

4 Base des indicateurs financiers des opérateurs de l’enseignement supérieur français – portail #DataESR – pour les données issues des comptes financiers ; documentation relative aux lois de finances (République Française, Budget général. Mission interministérielle. Projets annuels de performances. Annexe au projet de loi de finances pour 2019, "Recherche et enseignement supérieur", p. 112) pour les subventions notifiées par étudiant et les emplois notifiés à l’établissement ; statistiques sur les effectifs d'étudiants inscrits par établissement public sous tutelle du ministère en charge de l'Enseignement supérieur (hors doubles inscriptions CPGE – classes préparatoires aux grandes écoles) du portail #DataESR pour les données relatives aux formations ; données du Web of Science analysées par l’observatoire des sciences et techniques (OST) dans le cadre du programme Iperu – Indicateurs de production des établissements de recherche universitaire (Hcéres, OST, IPERU. Positionnement des établissements dans l’espace mondial des publications, novembre 2019) pour les publications scientifiques.

5 Le taux de corrélation est respectivement de 81 %, 45 % et 42 % pour ces trois indicateurs, les universités de sciences et technologie étant par nature plus coûteuses en fonctionnement (environnement matériel de la formation comme de la recherche) et le Web of science, qui mesure l’activité de publication, surdéterminant la production scientifique des disciplines concernées.

6 Ces catégories sont les universités pluridisciplinaires avec santé, les universités pluridisciplinaires sans santé, les universités scientifiques et/ou médicales, les universités tertiaires (droit et économie ou lettres et sciences humaines), les universités de technologie.

7 Notons que l’université Paris-Diderot (Paris 7) qui appartient à ce groupe a fusionné au 1er janvier 2020 avec l’université Paris-Descartes (Paris 5).

8 Avec laquelle elle a d’ailleurs fusionné au 1er janvier 2020.

Bibliographie

Baron, M. et Berroir, S. (2007), Paris et le système universitaire français : mythe et réalités, Annales de géographie, 655, 3-22

Baron, M. (2010), Universités et recherche, quelles dynamiques ?, Les cahiers de l’IAU Ile-de-France, 153, 53-55

Bourillon, F. et al. (Dir.) (2016), De l'Université de Paris aux universités d'Ile-de-France, Rennes, PUR, 354 p.

Frouillou, L. (2017), Ségrégations universitaires en Île-de-France. Inégalités d’accès et trajectoires étudiantes, Paris, La Documentation française (Études et recherche), 208 p.

Guiselin, E-P. (2018). L’Université faurienne, cinquante ans après la loi d’orientation, Revue française de droit administratif, 4, 715-727

Musselin, C. (2017), La grande course des universités, Paris, Presses de Sciences po, 304 p.