L’artificialisation des sols en Normandie depuis 20 ans
28 juin 2021
L’artificialisation des sols peut être définie comme la transformation d’une surface agricole, forestière ou naturelle pour laquelle les états effectifs peuvent être réversibles vers une surface assurant le développement du tissu urbain, de zones industrielles et commerciales, d’infrastructures de transport ou bien encore de carrières, de décharges et d’espaces récréatifs.
L’artificialisation des sols est l’expression d’une pression sociale forte puisqu’elle répond aux besoins socio-économiques des ménages, des entreprises, des collectivités territoriales et des pouvoirs publics. Toutefois, cette artificialisation entraîne une perte souvent irrémédiable des fonctions environnementales des sols et une diminution globale des surfaces vouées aux activités agricoles, devenant ainsi en France un enjeu majeur de débat public et une des préoccupations des orientations nationales récentes en faveur de la protection des espaces agricoles, forestiers et naturels (SRU 2000, Grenelle II 2010, ALUR 2014, LAAF 2014).
Depuis 2010, VigiSol, association de loi 1901 à caractère technique, scientifique et opérationnel portée par la SAFER de Normandie, a développé un observatoire des surfaces artificialisées normandes depuis plus de 20 ans. VigiSol mène un programme de mesure très précise de l’artificialisation des sols sur l’ensemble du territoire régional en mobilisant des photographies aériennes de l’IGN et des images satellitaires d’Airbus DS pour quantifier l’extension spatiale des sols artificialisés, qualifier la nature des formes de cette consommation d’espace et définir l’état des sols avant leur artificialisation.
La démarche PICTUS
La démarche PICTUS (Photo-Interprétation du ChangemenT d’Usage du Sol) repose sur l’utilisation de photographies aériennes produites par l’IGN entre 1998 et 2016. En comparant entre deux dates et pour un même territoire les changements d’usage du sol, il est possible de dresser un état des lieux très précis des surfaces artificialisées (cf. fig. 1A). Aujourd’hui, l’actualisation en temps réel de l’artificialisation des sols, demandée au cas par cas par les collectivités territoriales, nous conduit à privilégier les images satellitaires d’Airbus DS.
Ce travail minutieux est mené au moyen d’un SIG afin de numériser les superficies et les usages avant et après artificialisation (cf. fig.1B). Des retours terrain et des contrôles qualité sont réalisés afin de valider le travail de photo-interprétation.
L’approche régionale de l’artificialisation des sols par cette démarche se heurte à la chronologie et la rythmicité des missions aériennes qui diffèrent selon les départements (Cf. fig. 1C). Aussi, pour permettre une lecture régionale de l’artificialisation des sols, nous avons opté pour une présentation des résultats soit en tenant compte des dates de prise de vue soit en lissant les résultats de chaque période départementale en moyenne annuelle communale. Tous les résultats présentés ci-après sont issus de la démarche PICTUS.
Figure 1 : L'artificialisation des sols en Normandie entre 1998 et 2016 (PICTUS)
Une artificialisation des sols en deux temps
L’évaluation de la surface artificialisée moyenne communale est riche d’enseignements (Cf. fig.2). On observe une première phase marquée par une artificialisation soutenue entre 1998 et 2008/2010 pour les 5 départements normands. Les surfaces artificialisées par commune sont alors comprises en moyennes annuelles entre 0,73 ha pour l’Orne et 1,06 ha pour la Manche. A partir de la période 2008/2010, on note une nette décélération des surfaces artificialisées jusqu’aux années 2015/2016, les valeurs étant comprises entre 0,34 ha pour l’Orne et 0,67 ha pour la Seine-Maritime. Cette décélération est plus particulièrement soutenue pour le Calvados et l’Orne et apparaît limitée pour la Seine-Maritime.
La baisse significative de l’artificialisation des sols à partir de 2008/2010 est liée aux conséquences de la crise bancaire de 2008, à la prise de conscience des élus de la nécessité de limiter la perte des terres agricoles dans la création ou la révision des documents d’urbanisme et à l’évolution de la réglementation qui impose un urbanisme moins consommateur d’espace (Grenelle II de 2010, les lois LAAF de 2010 et ALUR de 2014). Néanmoins, cette tendance récente doit être considérée comme préoccupante puisqu’une projection sur la base des chiffres de 2015/2016, qui témoignent du niveau d’artificialisation le plus faible depuis le début des années 2000, montre que les terres agricoles normandes seraient vouées à disparaître d’ici 800 ans si rien n’est fait pour freiner davantage cette artificialisation des sols. C’est à la fois loin à l’échelle humaine et très court à l’échelle de l’humanité.
Figure 2 : Surface artificialisée moyenne par commune et par an en Normandie (1998-2016)
Le besoin de nouveaux logements : première cause de l’artificialisation des sols
La cartographie communale des modalités d’artificialisation dominantes pour la période 1998-2016 montre que l’artificialisation des sols est liée principalement à la construction de nouveaux logements en périphérie des villes principales et au cœur de la plupart des territoires ruraux (Cf. Fig.3). Ainsi, on constate que la moitié des surfaces artificialisées est vouée au développement d’un habitat individuel. Celui-ci est majoritairement diffus, l’habitat en lotissement que l’on retrouve surtout en zones périurbaines ne représentant que 18 % des terres artificialisées.
Si le développement des activités économiques proches des villes et des infrastructures routières participe sans surprise à l’artificialisation des sols à hauteur respectivement de 15 % et 8 %, il est plus surprenant d’observer que l’activité agricole contribue de manière non négligeable à ce processus (10 % des terres artificialisées) en raison de la mise aux normes et de la construction de bâtiments d’élevage et de stockage.
Quelles qu’en soient ses modalités, l’artificialisation s’est opérée très majoritairement au détriment des terres agricoles qui représentent 87 % des surfaces artificialisées. À noter également que 70 % des terres agricoles artificialisées étaient auparavant des prairies.
Figure 3 : Modalités d'artificialisation dominantes en Normandie par commune (1998-2016)
Une structuration spatiale de l’artificialisation des sols aux origines multiples
La représentation cartographique des surfaces artificialisées moyennes annuelles communales permet de révéler une structuration très marquée de l’artificialisation des sols en Normandie (Cf. Fig.4).
Les zones les plus affectées par ce processus concernent tout d’abord les aires d’influence des principales villes. On note une diffusion en tâche d’huile de ces unités urbaines par la construction de nouveaux logements et de nouvelles zones d’activités économiques.
Les opérations routières de grande ampleur participent également de manière importante à l’artificialisation des sols avec l’emprise des infrastructures sur le foncier mais aussi par l’amélioration des conditions de déplacement des individus entre leur domicile et le lieu de travail, ce qui a pour effet d’entraîner l’arrivée de nouvelles populations dans les communes bordant ces axes de circulation.
On observe aussi une forte artificialisation des sols dans les communes situées le long de la vallée de la Seine. La Directive Territoriale d’Aménagement de l’estuaire de la Seine et l’extension du Grand Paris contribuent à renforcer le rôle de pôle majeur du développement économique de la vallée de la Seine. Ce développement se traduit par une consommation soutenue de foncier dédié à l’installation de nouvelles zones d’activités économiques et à un besoin accru de nouveaux logements.
Enfin, cette artificialisation se structure le long de certaines zones littorales attractives comme la Côte de Nacre, la Côte fleurie ou bien encore la Côte des havres. Le développement d’un habitat individuel souvent diffus, lié à l’arrivée d’une nouvelle population à la recherche d’un cadre de vie de qualité, de nouvelles pratiques de loisirs nautiques et aux possibilités de travail à distance par les NTIC, est le facteur principal de l’artificialisation du littoral normand.
Figure 4 : Surface artificialisée moyenne annuelle par commune en Normandie (1998-2016)
Conclusion
L’observation de l’artificialisation des sols en Normandie sur la période 1998/2016 menée par VigiSol depuis une dizaine d’années montre que l’artificialisation des sols continuent, même si son intensité est en forte baisse sur l’ensemble de la période étudiée.
Il ressort de ce travail la question de l’influence parisienne dans l’artificialisation des sols normands. En effet, du fait de sa proximité avec l’Île-de-France, la Normandie contribue à « nourrir » la région capitale. Mais les dynamiques de cette dernière (politique du Grand Paris, Axe Seine, migrations résidentielles des retraités et actifs franciliens vers les littoraux normands et les zones péri-urbaines des principales agglomérations) sont susceptibles d’entraîner une raréfaction des surfaces agricoles, forestières et naturelles. Il est ainsi important d’intégrer les connaissances sur l’artificialisation des sols telles que celles produites par Vigosol à l’ensemble des réflexions autour de l’espace mégarégional, puisque leurs enjeux renvoient tout à la fois sur la sécurité alimentaire, la richesse de la biodiversité, la lutte contre les risques naturels, la restauration de la qualité de l’eau, le stockage carbone pour limiter le réchauffement climatique ou bien encore le maintien des aménités environnementales.
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