Mobilités résidentielles, mobilités sociales et recompositions socio-territoriales au sein de la méga-région parisienne (1968-2015)

*Université de Rouen-Normandie, UMR CNRS 6266 IDEES, **INED
Publié le

15 novembre 2021

Sur les cinq dernières décennies, les groupes sociaux les plus favorisés ont eu tendance à se concentrer dans les plus grandes agglomérations et, de façon privilégiée, dans l’agglomération parisienne, induisant des ségrégations sociales très marquées entre les territoires (cf. fiche « La métropolisation au regard de la restructuration des catégories socioprofessionnelles », F. Amat, C. Imbert, G. Le Roux). La plupart des analyses des mécanismes de ségrégation se centrent sur le rôle des mobilités résidentielles (Bacqué et Lévy, 2009). Certes, les sociologues tiennent souvent compte des changements de structure sociale dans l’analyse des évolutions de la ségrégation spatiale (Préteceille, 2006), mais surtout pour expliquer l’intensité de la ségrégation de certains groupes ou au contraire leur dilution dans l’espace. Or, les trajectoires sociales intra-générationnelles ou intergénérationnelles des populations « immobiles » sont plus rarement considérées comme constitutives du changement social des espaces. Pourtant, les travaux sur les « effets de lieu » (Frémont et al, 1984) ou sur la géographie des opportunités montrent bien que les lieux de résidence n’offrent pas les mêmes perspectives de mobilité sociale, tout comme les contextes politiques, économiques, sociaux n’ont pas offert les mêmes chances de mobilité sociale aux différentes générations (Chauvel, 1998).

La tendance à la concentration dans un même territoire des classes populaires ou des classes dirigeantes peut ainsi également s’expliquer par les mobilités sociales ascendantes ou descendantes des habitants. Par exemple, des classes populaires peuvent devenir prédominantes dans un territoire du fait de phénomènes de stigmatisation et de disqualification sociale de la population résidente (Selimanovski, 2009). Au contraire, des espaces ont pu « s’embourgeoiser » car peuplés par des générations qui ont connu des phénomènes de promotion sociale importants, notamment celles des « baby boomers », ou encore parce qu’ils disposent d’emplois, d’équipements et de services qui favorisent le maintien sur place et l’ascension sociale des nouvelles générations (Imbert, 2005). En définitive, la transformation sociale des territoires est produite par le jeu combiné des mobilités résidentielles différentielles entre groupes sociaux et des mobilités sociales des populations qui s’y maintiennent. Ainsi, à titre d’illustration, certains territoires marginalisés verraient leurs jeunes en ascension sociale partir tandis que d’autres, périphériques, se paupériseraient par l’arrivée de populations n’ayant pas les moyens d’accéder à des espaces plus centraux. D’autres territoires, situés en centre-ville par exemple, pourraient connaître avec la gentrification un double phénomène de mobilités sociales ascendantes des jeunes actifs déjà installés et de remplacement de ménages des classes populaires par des ménages plus aisés.

Peu de travaux quantitatifs appréhendent conjointement ces deux phénomènes dans le changement social des territoires. Pour cette fiche, plusieurs hypothèses sont explorées dans le cas de la mégarégion parisienne1 : (1) la mobilité sociale in situ est, au côté des jeux de mobilité résidentielle différentielle, un moteur important de la recomposition sociale des territoires ; (2) les contributions relatives des mobilités sociales et résidentielles dans le changement social des territoires sont liées à la position de ces territoires dans la structure urbaine et dans les processus de métropolisation ; (3) ces contributions dépendent de la période qui favorise plus ou moins les mobilités sociales et résidentielles (conjoncture économique, politiques du logement) ; (4) le double jeu des mobilités sociales et résidentielles contribue à une hétérogénéité des transformations sociales des territoires du fait d’une hiérarchisation croissante des espaces sous influence métropolitaine.

Nous envisageons ces hypothèses à partir des données de l’Échantillon Démographique Permanent (EDP) qui permet, grâce à l’appariement des données de recensement, de considérer sur chaque période intercensitaire en parallèle les évolutions de la localisation résidentielle et de la position socioprofessionnelle de chaque membre du panel.

Une lecture de l’évolution sociale à travers la contribution des échanges migratoires et de la mobilité sociale in situ

En s’inspirant de travaux récents réalisés dans d’autres contextes (Coulton et al, 2012), notre étude s’attache à quantifier la part relative des différentes composantes du changement social des territoires : la recomposition sociodémographique des territoires est produite à la fois par la mobilité sociale de la population qui y réside, par le mouvement naturel de la population (naissances et décès), et par les mobilités résidentielles différentielles entre groupes sociaux qui entrent et sortent d’un territoire.

Trois grandes composantes de la transformation sociales des territoires
Figure 1 : Trois grandes composantes de la transformation sociales des territoires

La rareté des travaux qui cherchent à quantifier ces phénomènes pourrait s’expliquer par la rareté des dispositifs d’observation qui le permettent. En effet, étudier de manière longitudinale les composantes du changement social des territoires nécessite des données individuelles regroupant des informations sur les lieux de résidence et les positions sociales à différentes dates. Cette analyse est rendue possible par la constitution de grandes bases de données telles que l’EDP.

L’EDP est un panel sociodémographique de grande taille mis en place en France depuis 19672, pour étudier la fécondité, la mortalité, les parcours familiaux, les migrations géographiques au sein du territoire national, la mobilité sociale et la mobilité professionnelle, les carrières salariales et les niveaux de vie ainsi que les interactions possibles entre ces différents aspects. Il permet ainsi de suivre conjointement la trajectoire professionnelle et la trajectoire géographique d’un individu. Il est également possible d’estimer pour chaque commune française les entrées et sorties entre deux dates du recensement ainsi que les mobilités socioprofessionnelles des personnes qui sont restées dans la commune entre les deux dates. Pour des raisons d’effectifs, nous mobilisons l’échelle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de la mégarégion parisienne pour explorer nos hypothèses. Les résultats n’informent pas sur les processus de recomposition sociale internes aux EPCI, et cela peut s’avérer réducteur s’agissant des plus grandes agglomérations. Néanmoins, ces processus de ségrégations urbaines sont déjà bien renseignés dans la littérature. La méthode déployée permet de suivre l’évolution de la composition sociale des intercommunalités entre chaque recensement et d’isoler les contributions propres des jeux de mobilités entrantes et sortantes d’une EPCI et des mobilités sociales des personnes qui y restent (encadré n°1).

Encadré n°1 : démarche du calcul des contributions de la transformation sociale des territoires

L’évolution de la composition sociale des EPCI a été estimée à partir de la proportion de classes populaires (employés et ouvriers), de classes moyennes (petits indépendants, professions intermédiaires) et de classes supérieures (cadres et professions intellectuelles supérieures et chefs d’entreprise de plus de 10 salariés), en intégrant les retraités de ces catégories. Ces regroupements sont rendus nécessaires par la taille des effectifs observés par EPCI dans l’EDP. Ces indicateurs sont calculés aux différentes dates de recensement : 1968, 1975, 1982, 1990, 1999, 2010, 2015.

La population observée correspond aux personnes de 18 ans et plus afin de se limiter aux populations relativement autonomes dans leurs parcours résidentiels et professionnels. Ainsi, sur une période intercensitaire donnée, une personne entre en observation lorsqu’elle atteint 18 ans entre les deux dates de recensement.

Pour chaque EPCI considéré et chaque période intercensitaire, sont comptabilisés et caractérisés les individus EDP qui résident à au moins une des deux dates dans l’EPCI. Ces individus sont classés selon leur changement de statut entre les deux dates : les « immobiles » sont les individus de 18 ans et plus à la première date qui résident toujours dans l’EPCI à la seconde date ; les « décédés » sont les personnes résidant dans l’EPCI à la première date et décédées avant la deuxième ; les « nouveaux autonomes » sont les personnes qui ont moins de 18 ans à la première date mais résidaient dans l’EPCI et y résident toujours à la seconde date ; les « mobiles sortants » sont les personnes qui résidaient dans l’EPCI à la première date et n’y résidaient plus à la seconde ; les « mobiles entrants » sont les personnes qui résidaient hors de l’EPCI à la première date et y résidaient à la seconde. Les trois premières catégories permettent de mesurer le changement social produit par la mobilité sociale in situ (intra-générationnelle et inter-générationnelle en intégrant les mouvements naturels de la population). Les deux suivantes sont utilisées pour mesurer le changement social produit par la mobilité résidentielle.

Le développement mathématique pour mesurer les contributions de la mobilité sociale in situ et de la mobilité résidentielle différentielle s’appuie sur les travaux de Coulton, Theodos et Turner (2012). Pour chacun des trois indicateurs calculés à l’échelle des EPCI (proportions des classes supérieures, moyennes et populaires), la différence entre deux dates du recensement est décomposée en trois termes qui peuvent être interprétés comme : la contribution de la mobilité sociale in situ à l’évolution de cette proportion dans l’EPCI (personnes immobiles, entrée des jeunes, décès) ; la contribution de la mobilité résidentielle entrante et sortante à l’évolution de cette proportion ; l’évolution de cette proportion attribuable aux changements de la part relative occupée par les immobiles et mobiles dans la population de l’EPCI.

Embourgeoisement, moyennisation et paupérisation par les mobilités sociales et résidentielles : de forts contrastes entre EPCI

À partir de ces indicateurs, nous cherchons à résumer les dynamiques sociodémographiques des EPCI de la mégarégion parisienne pour chaque période intercensitaire entre 1968 et 2015, à partir d’une analyse des correspondances multiples (ACM) suivie d’une classification ascendante hiérarchique (CAH). L’ensemble des périodes a été considéré dans la même analyse et les observations sont donc des EPCI-période. Les variables considérées sont les suivantes :

  • l’évolution sociale principale (embourgeoisement, moyennisation, paupérisation) correspondant à la proportion qui a le plus augmenté sur la période considérée entre les classes supérieures, moyennes ou populaires ;
  • l’ampleur de l’évolution sociale (stable, modérée, importante) selon la valeur de l’évolution de la proportion précédente correspondante sur la période ;
  • la contribution principale de l’évolution sociale selon les trois termes définis dans l’encadré n°1 (la mobilité sociale in situ, la mobilité résidentielle entrante et sortante, ou les deux dans une proportion comparable) ;
  • le taux de croissance annuel moyen de la population discrétisé pour distinguer les EPCI en décroissance, en croissance modérée ou en forte croissance.

L’analyse a été réalisée uniquement sur les EPCI-période où l’ampleur de l’évolution sociale n’est pas considérée comme stable, qui constitue une classe à part entière de la typologie finale.

L’ACM permet de rendre compte des corrélations entre variables et est déjà informative sur deux points principaux. Premièrement, les processus d’embourgeoisement des EPCI sont étroitement liés aux jeux de mobilités résidentielles différentielles entre groupes sociaux : l’embourgeoisement est plus fréquemment le produit d’arrivées de populations des classes supérieures et du départ de classes populaires que le produit de mobilités sociales ascendantes des populations immobiles. À l’inverse, la paupérisation des EPCI est davantage associée à la mobilité sociale, soit à travers des phénomènes de déclassement socioprofessionnel des populations immobiles soit, le plus souvent, du fait de l’arrivée sur le marché du travail de jeunes locaux investissant massivement des emplois d’employés ou ouvriers et du départ corrélatif des plus qualifiés. Deuxièmement, la croissance de la population dans les EPCI est corrélée à l’embourgeoisement tandis que le déclin démographique est plutôt lié à la paupérisation. Le premier renvoie en partie aux phénomènes de périurbanisation des cadres autour des grands pôles urbains, qui ont fait croître la population d’un grand nombre de communes depuis les années 1960. Le second renverrait plutôt à la paupérisation liée au déclin à la fois démographique et économique de nombreux EPCI qui ont dû faire face à la décroissance de l’emploi industriel et agricole.

La typologie que nous proposons en 8 classes rend compte de ces corrélations et montre que les dynamiques ont largement varié depuis les années 1960, en lien avec les évolutions des contextes économiques, politiques et sociaux (cf. figure 2).

Évolution socio-territoriale des EPCI de la mégarégion parisienne entre 1968 et 2015

Figure 2 : Évolution socio-territoriale des EPCI de la mégarégion parisienne entre 1968 et 2015

Certains phénomènes sont assez constants dans le temps. Par exemple, la stabilité sociale des EPCI est largement liée à leur taille, ce qui reflète l’inertie des grosses collectivités. Une exception notable concerne la période 1982-1990 où les très grands EPCI ont connu en très grande proportion des phénomènes d’embourgeoisement, principalement dans la métropole parisienne et dans les EPCI limitrophes mais aussi dans d’autres pôles comme Orléans, Caen et Amiens, où, autre exception, la mobilité sociale a contribué de manière significative. Par ailleurs, la paupérisation des EPCI est également liée à leur taille : plus les EPCI sont petits et plus le phénomène de paupérisation est fréquent.

Pour les petits EPCI (moins de 15 000 habitants), la diversification de leur composition sociale est notable, plus spécifiquement lors des périodes 1975-1982 et 1999-2010. Il y a une coexistence entre des EPCI, plutôt dans la partie Est, alternant entre déclin et stabilité sociale tout au long des différentes périodes et des EPCI qui ont connu une arrivée de catégories favorisées. Le premier cas concerne surtout le sud-est de la mégarégion (départements de l’Yonne et de l’Aube), particulièrement marqué par une crise de leur secteur industriel. Le second est associé dès les années 1980 à une « renaissance rurale » (Kayser, 1989), que ce soient des espaces ruraux éloignés des grands pôles qui ont connu une trajectoire de multifonctionnalité (résidentialisation ou industrialisation) ou d’autres proches des grands pôles marqués par une périurbanisation (Bouron et Georges, 2015). Pour ces derniers, on retrouve une situation récurrente dans les grandes villes françaises, qui se caractérise par le départ des classes moyennes et supérieures vers des espaces périurbains qui présentent de fortes aménités environnementales (par exemple sur la côte au nord de Caen dans la communauté de communes Cœur de Nacre ou encore dans le Vexin Normand entre Paris et Rouen).

Cette périurbanisation des grands pôles non franciliens opérée par les classes favorisées ou en ascension sociale s’équilibre avec leur attractivité en tant que pôles tertiaires. Concernant ces espaces urbains, la situation est donc complexe car associant dès les années 1980 un départ des classes moyennes et supérieures vers des EPCI périurbains avec un processus de gentrification des centres que l’on voit nettement dans les EPCI de villes telles que Paris, Orléans, Amiens, Caen.

Une évolution des compositions sociales en lien avec le processus de métropolisation et l’évolution des systèmes productifs

La période 1968-1975 est très marquée par la position dans la hiérarchie urbaine et fait apparaître deux phénomènes majeurs. Premièrement, on observe un fort embourgeoisement lié à la périurbanisation parisienne, dans les EPCI de l’ouest, dans l’Essonne et les Yvelines, mais aussi dans quelques EPCI du nord dans l’Oise et de l’est en Seine-et-Marne. Cette période correspond au début de la périurbanisation, les pionniers profitant alors des premiers prêts du Crédit foncier dans le cadre du plan Courant (Topalov, 1987). Elle a lieu avant le passage de l’aide à la pierre à l’aide à la personne (loi Barre de 1977) qui a stimulé, par la diffusion du crédit, la construction de logements pavillonnaires (Bonvalet et Bringé, 2013). Elle précède donc la démocratisation de l’accès au pavillonnaire, ce qui explique la forte représentation des cadres dans cette première étape de la périurbanisation. À l’opposé, de nombreux petits et moyens EPCI perdent de la population et se paupérisent. L’attraction des villes nouvelles et le développement des emplois de cadres et professions intellectuelles les placent à la marge du processus de métropolisation qui s’enclenche. Les régions rurales agricoles et industrielles de l’ouest de la mégarégion allant du département de l’Orne à la Beauce en passant par le Perche, ont été particulièrement affectées par cette décroissance et cette paupérisation, qui s’expliquerait par la rétraction des emplois agricoles et industriels et l’absence de perspective de mobilité sociale locale pour les jeunes.

La période 1975-1982 présente des dynamiques plus modérées, des évolutions de la composition sociale des EPCI souvent relativement faibles ou de moyennisation. On observe néanmoins une poursuite de processus d’embourgeoisement par la périurbanisation de cadres dans l’Oise, l’Essonne et l’Eure, ainsi que des phénomènes de paupérisation plus localisés dans des zones rurales comme celles autour de Vire, du pays de Caux, du sud de la Sarthe et des Ardennes, où le déclin de l’activité agricole et l’amorce de la désindustrialisation ont pu jouer un rôle particulier.

La période 1982-1990 marque une reprise forte de l’embourgeoisement des EPCI à l’ouest de l’Île-de-France et dans ses marges. Elle correspond à une nouvelle phase de périurbanisation relancée par les réformes des politiques du logement de 1977 et des aides et prêts aidés à l’accession qu’elles ont ouverts.

La période 1990-1999 est particulièrement marquée par la stagnation des emplois d’encadrement et la poursuite de la croissance des professions intermédiaires. Les processus d’embourgeoisement sont plus rares que ceux de moyennisation et les évolutions sociales des territoires, moins marquées. Celles-ci relèvent davantage de phénomènes de mobilité sociale que de jeux de mobilité résidentielle. La périurbanisation est ralentie avec une conjoncture moins favorable pour l’accession à la propriété. Les petits EPCI poursuivent leur paupérisation, surtout au sud-est de la mégarégion (départements de l’Yonne et de l’Aube), avec un peu moins de perte de population que la période précédente.

La période 1999-2010 se caractérise par un ralentissement de la paupérisation des territoires ruraux et une dynamique générale de moyennisation sociale. L’embourgeoisement des EPCI d’Île-de-France reprend notamment à l’est de la ville nouvelle de Marne la Vallée jusqu’à Provins mais aussi autour de Cergy et Saint-Quentin en Yvelines. Les EPCI d’Amiens et Le Mans s’embourgeoisent également sur cette période.

Entre 2010 et 2015, le changement social des EPCI reprend de l’ampleur avec des dynamiques de paupérisation et de décroissance démographique qui gagnent de nombreux petits EPCI ruraux, notamment de l’Yonne, de l’Aube, des Ardennes, à l’est de Compiègne et dans le Perche, dont la désindustrialisation se poursuit. D’autres EPCI petits et moyens s’embourgeoisent au contraire à proximité de grands pôles comme Rouen, le long de la Seine, Orléans, ou Caen, signe d’une poursuite toujours plus loin des centres de la périurbanisation des cadres.

Distribution des types d’évolution sociale des EPCI par période intercensitaire selon la taille des EPCI

Figure 3 : Distribution des types d’évolution sociale des EPCI par période intercensitaire selon la taille des EPCI

Conclusion

L’étude sur 50 ans des dynamiques d’embourgeoisement et de paupérisation des territoires de la mégarégion montre des mécanismes qui permettent de mieux comprendre les disparités territoriales que la métropolisation parisienne a façonnées. Si les grandes villes ont d’abord crû et concentré les emplois de cadres au détriment de territoires ruraux qui connaissent une rétraction des activités agricoles et industrielles, d’autres territoires ruraux ont connu une croissance exceptionnelle en accueillant une population de cadres, d’abord dans la région francilienne puis autour des autres grandes villes. Les politiques du logement successives ont accompagné la périurbanisation des classes moyennes et supérieures et ont contribué à la complexification des dynamiques socio-territoriales. En parallèle, la croissance des grandes villes se ralentit dès les années 1980 et l’on observe des phénomènes d’embourgeoisement par le double jeu des mobilités résidentielles et des mobilités sociales. Les changements de structure socio-professionnelle en France et dans la mégarégion ont rythmé l’ampleur des évolutions locales avec des périodes de transformations intenses et d’autres de relative stabilité.

En définitive, les transformations socio-territoriales tendent à se dualiser entre des territoires qui s’embourgeoisent par l’arrivée de classes supérieures et d’autres qui se paupérisent non pas par l’arrivée de classes populaires mais par une absence de mobilité sociale ascendante des jeunes localement. Si la croissance des cadres et des professions intellectuelles supérieures a conduit à un double mouvement de diversification (arrivée de cadres dans des quartiers populaires) et de spécialisation (entre soi) sociale dans une grande variété de territoires urbains et ruraux, d’autres accusent des décennies de perte d’attractivité dans des régions fragilisées par la désindustrialisation et la rétraction de l’emploi agricole.

1 Nous mobilisons la définition de la mégarégion parisienne (Hall, Pain, 2006) correspondant à l’aire d’influence de Paris comme système urbain fonctionnel.

2 Il consiste en l’appariement de données administratives issues de 5 sources : des bulletins d'état civil de naissance, de mariage, de décès depuis 1968 ; des recensements de 1968, 1975, 1982, 1990 et 1999 puis des enquêtes annuelles de recensement à partir de 2004 ; du fichier électoral depuis 1967 ; du panel « tous salariés » depuis 1967 ; des données socio-fiscales depuis 2011 (revenus 2010). Il a été constitué sur un échantillon d’environ 1 % de la population jusqu’aux années 2000 puis 4 % pour compenser le passage à un recensement par sondage. Cette source est accessible via le CASD (https://www.casd.eu/). Ce travail a ainsi bénéficié d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre de programme d’investissements d’avenir portant la référence ANR-10-EQPX-17 (Centre d’accès sécurisé aux données – CASD). L’accès aux données via le CASD a été facilité par le projet Big_Stat (« Des données statistiques massives pour observer une société mobile », référence ANR-16-CE41-0007) financé par l’Agence Nationale de la Recherche et dirigé par Laurent Toulemon (INED).

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